Le 15e Forum International des Risques Financiers (Risks Forum), organisé par l’Institut Louis Bachelier (ILB), s’est déroulé les 21 et 22 mars derniers, à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de Paris. Durant une journée et demie, en format hybride (présentiel et digital), une centaine d’intervenants (chercheurs académiques, régulateurs, professionnels) se sont réunis pour débattre de l’impact des risques climatiques dans le secteur financier. Retour sur cet événement scientifique d’envergure.

Après deux ans de pandémie et pour son 15e anniversaire, le Risks Forum a fait son retour à la CCI de Paris. Et dans ce lieu historique, le public s’est déplacé en nombre avec près de 300 personnes présentes pour suivre les présentations et échanges effectués par une centaine d’experts en finance.

Le changement climatique, une préoccupation grandissante pour la finance

En guise d’ouverture de ce forum, Jean-Michel Beacco, délégué général de l’ILB, a déclaré : « Il n’a échappé à personne que le changement climatique est l’un des principaux défis de notre époque. La lutte contre le changement climatique et la transition de l’économie mondiale vers une voie à faible émission de carbone nécessiteront le soutien du secteur financier. Il faudra également développer de nouveaux modèles pour évaluer les interactions entre le climat et l’économie, mesurer les risques climatiques physiques et de transition, et les intégrer dans le prix des actifs, évaluer les attitudes et les croyances des investisseurs vis-à-vis de ces risques. Les institutions financières sont interconnectées et le changement climatique représente une menace sérieuse pour la stabilité financière. » Et d’ajouter : « Je souhaite remercier tous les intervenants et les participants pour leur contribution au Risks Forum et à notre quête d’une recherche d’excellence pour soutenir le développement durable en économie et en finance. »

De son côté, Marie Brière, directrice scientifique du Risks Forum, a livré des éléments de contexte des problématiques sur les risques climatiques auxquelles font face les acteurs financiers. « Le changement climatique est une question clé. Le secteur financier doit contribuer au développement d’une économie bas-carbone en finançant la recherche & développement dans les énergies renouvelables, ainsi que les infrastructures. Nous avons également besoin de nouveaux produits financiers : dérivés climatiques, fonds verts, solutions d’assurance, etc. Enfin, le rôle des superviseurs est primordial. Le changement climatique est aujourd’hui une source systématique de risque pour nos économies et les marchés financiers, et un risque pour la stabilité financière. Nous avons besoin que les institutions financières communiquent leurs expositions au risque climatique. Les banques centrales et les régulateurs sont essentiels pour concevoir des scénarios de stress tests climatiques. Mais pour assurer une transition efficace, nous avons un besoin urgent de recherche académique afin, de mieux comprendre et modéliser les interactions entre les risques climatiques et nos économies et déterminer ce qui peut être une voie optimale pour la transition. Fort heureusement, le monde académique est très actif sur ce sujet. Le Risks Forum est le lieu idéal pour réunir les chercheurs et les professionnels. » 

Une approche novatrice pour couvrir les portefeuilles contre les risques climatiques

Après ces propos introductifs, Stefano Giglio, professeur de finance à la Yale School of Management, a présenté son dernier article de recherche intitulé « A Quantity-Based Approach to Constructing Climate Risk Hedge Portfolios », dans lequel ses co-auteurs et lui-même ont développé une nouvelle méthodologie permettant de construire des portefeuilles d’actifs couverts contre les risques climatiques. « Le changement climatique représente un risque important et complexe. Les méthodes traditionnelles de construction de portefeuilles couverts contre les risques ne fonctionnent pas très bien, car il y a des nombreuses limites aux séries temporelles utilisées dans ces méthodologies », a affirmé le chercheur, tout en poursuivant : « Nous avons développé une nouvelle approche basée sur les quantités de titres échangées par des sous-catégories d’investisseurs, qui ont connu des revirements dans leurs croyances sur le climat ». Cette nouvelle méthodologie, axée sur les quantités de titres échangés par certains investisseurs, suppose une hausse des préoccupations des investisseurs sur le changement climatique dans une zone précise aux États-Unis. Si les prises de conscience sur le climat se diffusent à plusieurs régions américaines, davantage d’investisseurs achètent des valeurs vertes faisant augmenter leurs cours, ce qui permet ainsi de couvrir un portefeuille contre les risques climatiques.

De nombreuses lacunes sur les données ESG

Après cette intervention, une table ronde intitulée « Data Gaps and Needs For Sustainable Research » a réuni plusieurs experts, qui ont échangé sur l’importance des données ESG pour évaluer les risques climatiques. « Une question fondamentale pour les investisseurs est d’identifier les sociétés gagnantes et perdantes de la transition climatique. Le plus grand fossé se situe sur le Scope 3 et les émissions futures. C’est encore plus dur pour les politiques et les chercheurs qui doivent aller encore plus loin que le niveau des entreprises. L’une de solutions réside dans la standardisation des données », a estimé Stefano Giglio. De con côté, Jocelyn Martel, professeur de finance à l’ESSEC a souligné : « Nous avons besoin de données, mais il faut qu’elles soient de qualité. Il y a un besoin de développer plus de données et de les diffuser. Il faut être très prudent avec les données ESG. »

Pour sa part, Stéphane Voisin, coordinateur scientifique du programme interdisciplinaire Green and Sustainable Finance de l’ILB a insisté sur les délais élevés de déclaration des données ESG. « Les données ESG sont basées sur les reporting des entreprises qui sont effectués plusieurs mois après, alors que les analystes financiers et extra financiers font des prévisions à un horizon de 2 ou 3 ans. Il y a un fossé important au niveau des délais. Dans certains cas, il peut y avoir une seule donnée par an, ce qui n’est pas très dynamique. Il faut davantage de granularité par type d’activité et des données plus prospectives. L’usage des données est différent selon que l’on souhaite mesurer l’exposition aux risques climatiques ou aligner les portefeuilles avec l’Accord de Paris ». Pour compléter ce panel, Léa Grisey de la Banque de France a présenté des travaux menés par le NGFS (Network for Greening the Financial System) et Thibaud Barreau, data scientist à l’ILB a évoqué le lancement d’un nouveau projet de recherche sur les données ESG.

Les risques climatiques en cascade et l’élaboration de scénarios

Lors de la seconde journée du Risks Forum, Irene Monasterolo, professeur en finance climatique à l’EDHEC Business School et à l’EDHEC-Risk Institute, a présenté son dernier article de recherche « Asset-Level Climate Physical Risk Asessment and Cascading Financial Losses », co-écrit avec trois autres chercheurs. Celui-ci propose un cadre méthodologique novateur pour évaluer les risques climatiques physiques au niveau des actifs par rapport aux revenus des entreprises, à la dynamique macroéconomique, à l’évaluation financière et au risque pour l’investisseur. « L’évaluation des risques physiques pose plusieurs défis : les risques physiques font l’objet de moins d’attention que les risques de transition, les données sur les actifs physiques manquent, les scénarios ont tendance à sous-estimer la survenue des risques physiques, les risques physiques sont sous-évalués financièrement, ils peuvent provoquer des chocs inattendus car l’hétérogénéité n’est pas prise en compte », a indiqué la chercheuse. Dans ses récents travaux, la scientifique et ses co-auteurs ont appliqué leur nouvelle méthodologie pour calculer l’exposition d’investisseurs européens, qui détiennent des actions d’entreprises ayant des actifs au Mexique et qui sont exposées à des risques d’ouragans. « Un choc climatique aigu sur des actifs peut conduire à de larges ajustements dans la valeur des actions et dans les risques encourus par les investisseurs. La localisation des actifs et leur type conduisent à des chocs et des dynamiques différentes sur les actions », a-t-elle affirmé.

Après cette présentation remarquée de la spécialiste en finance verte, un panel d’experts l’a rejoint sur scène pour échanger sur l’élaboration et la construction de scénarios climatiques macro-financiers. Cette table ronde a notamment permis d’évoquer le stress tests climatique lancé par la Banque Centrale Européenne (BCE) en début d’année. « La BCE est d’avis que les institutions évaluent leurs propres risques, mais le stress climatique de la BCE sera instructif : il sera un exercice commun d’apprentissage, il permettra de créer de la prise de conscience sur les risques climatiques, d’identifier les vulnérabilités des banques et de cerner les meilleurs pratiques », a assuré Christopher Kok, responsable de la division dédiée aux stress tests de la BCE.

Ensuite, un professionnel, Marc Irubetagoyena, responsable des stress tests et de la synthèse financière du groupe BNP Paribas, a pris la parole pour exprimer son point de vue : « Nous participons à l’exercice de la BCE, mais nous favorisons l’horizon de long terme, car nous avons un bilan dynamique. Avec un horizon de moyen terme, nous n’avons pas une évaluation réelle de l’exposition de nos actifs aux risques climatiques. Nous avons notre propre scénario climatique pour calculer nos capitaux réglementaires. C’est un exercice complémentaire à celui de la BCE. Nous travaillons aussi sur l’alignement de nos portefeuilles, mais nous utilisons davantage les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) plutôt que celui du NGFS. »

La suite et fin de cette table ronde a livré d’autres éclairages sur la construction et l’utilisation de scénarios climatiques macro financiers : « Il y a peu de macroéconomie dans les scénarios de l’AIE qui se concentre davantage sur les énergies. Au NGFS, les travaux sont effectués sous une perspective macro financière. Nous sommes, en effet, confrontés à une transformation de l’économie et il est important que les banques puissent y faire face en améliorant les scénarios et l’accessibilité aux données », a détaillé Jean Boissinot, directeur adjoint de la stabilité financière à la Banque de France et secrétaire général du NGFS. Irene Monasterolo a quant à elle pointé deux écueils au sujet des scénarios climatiques : « L’endogénéité n’est pas incluse dans les scénarios de transition et l’impact des réactions des investisseurs aux différents scénarios n’est pas mesuré. »

L’Europe est en première ligne

Après le panel précédent, Stanislas Pottier, conseiller senior auprès de la direction générale d’Amundi, a abordé le rôle de l’Europe et celui de Paris dans le financement d’une économie bas-carbone. Son intervention a coïncidé avec la publication récente du rapport Perrier « Faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique : un cadre d’actions », commandé par le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, dont il est l’un des co-auteurs : « L’Europe est en première ligne dans la lutte contre le changement climatique comme le montre son paquet climat Fit for 55, qui impose une forte réduction des émissions de carbone en 2030 », a-t-il déclaré, avant de préciser certains défis à venir : « Le changement climatique implique une importante révolution pour l’économie et la société : le mix énergétique doit tendre vers le zéro carbone, les capacités électriques sont amenées à doubler dans le monde, de nombreux produits et services doivent être convertis. Et cette révolution concerne tous les secteurs. Pour atteindre ses objectifs d’ici à 2050, l’Europe devra investir 1000 milliards d’euros par an. » Il a terminé son discours en émettant quelques recommandations : « Nous avons besoin d’organiser une nouvelle politique économique : les états doivent réévaluer leurs engagements dans l’économie en co-construction avec d’autres parties prenantes (investisseurs, entreprises…), même si actuellement, ce n’est pas le cas. L’épargne et les financements de long terme constituent de bons canaux financiers. Nous avons également besoin de nous concentrer sur les activités brunes dans le but de les transformer. Paris est aux avant-postes avec de nombreuses initiatives à l’œuvre. Nous devons désormais mettre en place nos engagements climatiques. »

La fin de matinée de cette seconde journée du Risks Forum a notamment donné lieu à la traditionnelle cérémonie de remise du prix IEF /Scor du Meilleur Jeune Chercheur en Finance et Assurance.

Les placements verts sont-ils plus rentables ?

Après une pause déjeuner durant laquelle les participants et les intervenants, réunis autour d’un buffet, en ont profité pour échanger, Lucian Taylor, professeur de finance à la Wharton School, University of Pennsylvania, a présenté un article de recherche intitulé « Dissecting Green Returns », dans lequel ses co-auteurs et lui-même dévoilent des explications aux meilleures performances des actions d’entreprises vertes par rapport aux autres valeurs durant la décennie 2010. En visioconférence depuis Philadelphie, le chercheur américain a déclaré : « Les encours de fonds responsables et la valeur des actifs verts augmentent aux Etats-Unis. Dès lors, peut-on s’attendre à des performances supérieures de la finance durable ? Les investisseurs et les gérants d’actifs estiment que c’est le cas comme le montre les performances passées. Dans notre article de recherche, nous prenons le contre-pied et nous disons que ce n’est pas le cas. Les investisseurs apprécient les valeurs vertes, qui représentent une couverture contre le risque climatique. »

Dans leur article de recherche, Lucian Taylor et ses collègues ont observé les changements dans les préoccupations liées au changement climatique en utilisant l’indice mesurant ces préoccupations dans les médias et une analyse textuelle. Notons que ces préoccupations ont beaucoup augmenté ces dernières années : « Les mauvaises nouvelles sur le changement climatique constituent une bonne nouvelle pour les rendements des investissements verts. Depuis 2010, les performances des actions vertes ont été supérieures aux attentes. » Et de conclure : « Par conséquent : Les investisseurs ESG ne s’attendaient pas à une surperformance des actifs verts ; le coût du capital des entreprises vertes est plus faible que ne laisse suggérer les récentes performances de ces valeurs ; il peut être dangereux de mesurer les rendements attendus des actions vertes en fonction de la moyenne des rendements récemment réalisés. » Néanmoins, il a estimé que les actions vertes ne faisaient pas l’objet d’une bulle, car leurs valorisations ne sont pas faussées.

Pour conclure cette 15e édition du Risks Forum, des sessions parallèles de présentation d’articles de recherche, ainsi que deux tables rondes se sont succédé. La première, sous l’égide de Natixis, a été consacrée au verdissement des bilans des institutions financières. La deuxième, initiée par le programme interdisciplinaire de l’ILB Finance and Insurance Reloaded (FaIR), a débattu de l’impact environnemental de la production de Bitcoin.

Rendez-vous l’année prochaine pour la 16e édition du Risks Forum…