Le Prix 2022 du Meilleur Jeune Chercheur en Finance et Assurance IEF / Fondation Scor pour la Science a été décerné le 22 mars, au cours de la seconde journée du Risk Forum, organisé par l’Institut Louis Bachelier (ILB), qui s’est déroulé à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris. Cette année, ce prix, parrainé par la Fondation Scor pour la Science (voir encadré ci-dessous), a été attribué à Jean-Édouard Colliard, professeur associé en finance à HEC Paris. En marge de sa remise de prix, il a répondu à nos questions.

Quel est votre sentiment à la suite de votre remise du prix du Meilleur Jeune Chercheur en Finance et Assurance IEF / Fondation Scor pour la Science ?

Je suis honoré et très heureux d’avoir reçu ce prix. Il est très visible en France et a permis d’identifier de nombreux talents travaillant dans le domaine des risques financiers. Je suis donc fier de rejoindre la liste prestigieuse des lauréats du prix du Meilleur Jeune Chercheur.

Pouvez-vous nous présenter vos principaux domaines de recherche ?

De manière générale, mes travaux de recherche consistent à réaliser des modélisations microéconomiques appliquées à la finance autour de deux thèmes de prédilection : l’économie bancaire et la microstructure des marchés financiers. Le premier concerne les comportements et activités des banques (capital réglementaire, octroi de prêts etc…). Le second porte sur les échanges et l’organisation des marchés financiers, notamment les transactions d’actions en Bourse et d’obligations sur les marchés de gré à gré. Dans les deux cas, je m’intéresse particulièrement aux questions liées à des potentielles défaillances de marché pouvant mener à des instabilités, des risques ou encore des crises, tout en essayant d’y apporter des solutions. 

Comment vos travaux de recherche peuvent-ils contribuer à une meilleure compréhension du secteur financier ?

Ce type de travaux académiques permet de mieux connaître les marchés financiers et leurs régulations de plusieurs manières. L’une d’elle consiste à réfléchir à des régulations existantes, à comprendre leurs justifications et à observer d’éventuels effets négatifs. Par exemple, dans un article de recherche intitulé Strategic Selection of Risk Models and Bank Capital Regulation, j’ai étudié les modèles internes utilisés par les banques pour calculer leurs capitaux réglementaires dans le cadre de la régulation bancaire. C’est un débat de longue date et important parmi les chercheurs et praticiens. D’ailleurs, j’ai commencé à travailler sur ce sujet durant ma thèse après la crise de 2008. En résumé, pour que les banques soient correctement régulées, leurs capitaux réglementaires doivent refléter autant que possible les risques qu’elles prennent. Or, ce sont elles qui sont les mieux placées pour évaluer et estimer leurs propres risques. Dans ce contexte, le recours à des modèles internes par les banques fait sens. Toutefois, ces modèles internes peuvent parfois être trop optimistes, ce qui nécessite une supervision. Mais, cette dernière implique des coûts supplémentaires, ce qui a généré de nombreux débats réglementaires. Et depuis la crise de 2008, les régulateurs ont imposé aux banques de moins s’appuyer sur des modèles internes. Mon article de recherche discute ainsi des coûts et bénéfices de ce phénomène à partir d’un modèle théorique.

Une autre façon d’éclairer le débat public et la réglementation est d’étudier les effets empiriques d’une politique mise en place. Dans l’article de recherche Financial Transaction Taxes, Market Composition, and Liquidity – co-écrit avec Peter Hoffmann et qui a fait l’objet d’un numéro de la collection Opinions & Débats – nous nous sommes intéressés aux impacts de la taxe sur les transactions financières instaurée en France, en 2012. En observant des données très détaillées, nous avons pu constater que cette taxe avait engendré une baisse des volumes et une réduction de la liquidité des titres, en particulier pour les actions qui étaient déjà peu liquides. En revanche, la taxe n’a pas eu des effets sur les actions très liquides. Sans rentrer dans le débat de la fiscalité sur lequel nous ne nous prononçons pas, nous concluons que cette taxe n’est pas un outil adapté pour corriger des imperfections de marché, car, par exemple, la volatilité n’a pas baissé.

Enfin, pour donner un dernier exemple de contribution de mes travaux à une meilleure compréhension du secteur financier, l’article Inventory Management, Dealers’ Connections, and Prices in OTC Markets, co-écrit avec Thierry Foucault et Peter Hoffmann, propose un modèle d’échanges sur les marchés de gré à gré, par exemple le marché des obligations d’entreprises sur lequel il y a de nombreux travaux empiriques, en particulier aux Etats-Unis. Notre modèle essaye ainsi de décrire un fonctionnement réaliste de ce marché : les transactions observables et qui doivent se réaliser, ainsi que les variations de prix selon les différents acteurs concernés. Ces éléments permettent de réaliser des prédictions empiriques qui peuvent être ensuite testées et confrontées aux données réelles par d’autres chercheurs.

Les risques au sein du secteur bancaire sont-ils mieux évalués que par le passé, notamment avant 2008 ?

Par rapport à la crise de 2008, la régulation bancaire est beaucoup plus stricte et exige des niveaux de capitaux minimums plus élevés. Le cadre de la supervision a été beaucoup amélioré, notamment en Europe avec l’Union bancaire européenne, qui est l’un de mes autres sujets de recherche. De nombreuses opportunités d’arbitrage réglementaires ont cessé avec les accords de Bâle et/ou les nouvelles normes comptables. Il ne fait aucun doute que le secteur bancaire est mieux régulé qu’avant la crise de 2008. Par exemple, les banques européennes ont très bien résisté à la crise générée par la pandémie de Covid-19, qui a été un choc sans précédent. Cette résistance est notamment due au fait qu’elles avaient des ratios de capitaux réglementaires élevés et que la compréhension du secteur bancaire s’est considérablement améliorée grâce aux efforts des superviseurs et des nombreuses recherches menées depuis la crise financière.

Pour conclure, quels sont vos prochains sujets de recherche ?

Mes sujets de recherche actuels restent dans la continuité des précédents, tout en étant abordés sous un angle nouveau à savoir l’utilisation des données en finance, que ce soit dans le secteur bancaire ou les marchés. En clair, je m’intéresse à l’économie des données qui pose de nombreuses questions : que se passe-t-il lorsque les agents essayent d’avoir les mêmes données ou des données différentes à des prix plus élevés ? Quels sont les problèmes éventuels en cas de mauvaise utilisation ? Quid des algorithmes et des interactions entre ces différents outils d’aide à la décision ? Ces questions nécessitent ainsi des analyses pour tenter d’identifier de potentiels risques ou problèmes dans le secteur financier.

 

Le Prix du Meilleur Jeune Chercheur en Finance et Assurance IEF / Fondation Scor pour la Science

Depuis 2005, l’Institut Europlace de Finance (IEF), fondation du groupe Louis Bachelier, attribue le prix du Meilleur Jeune Chercheur en finance à des chercheurs prometteurs de moins de 40 ans.

Les candidats sont désignés par les membres du conseil scientifique de l’Institut Louis Bachelier (ILB) et les membres du conseil scientifique de l’IEF. Le lauréat final est ensuite élu par des Louis Bachelier Academic Fellows. En 2017, le conseil scientifique de l’IEF a décidé d’élargir ce prix à la recherche en assurance.

Enfin, pour rappel, ce prix est parrainé, depuis 2016, par la Fondation Scor pour la science, dont la mission est de soutenir la recherche scientifique en apportant son soutien à différents types de projets liés au risque et à la (ré)assurance, notamment des chaires universitaires, des projets de recherche, des conférences et des publications.

Retrouvez le communiqué de presse ici.