Aujourd’hui en Europe, l’investissement socialement responsable (ISR), qui intègre dans les décisions d’investissement des critères de responsabilité sociale, environnementale et de gouvernance, représente plusieurs centaines de milliards d’euros et a intégré les pratiques d’acteurs classiques tel que les fonds de pension. Quel est le rôle de l’ISR dans le fonctionnement de l’économie ? Comment mesurer la performance extra-financière, environnementale et sociale, des entreprises ? Quelles sont les structures de gouvernance les plus favorables à la prise en compte de l’impact du long-terme dans les entreprises ? Le développement rapide de l’ISR appelle des réponses objectives et concrètes.

Depuis sa création en 2007, la « Chaire Finance Durable et Investissement Responsable » (FDIR) a apporté de nombreux éclairages sur ces questions dont certains sont mis en exergue dans le présent numéro des Cahiers. La mesure du caractère socialement responsable d’une entreprise est ainsi au cœur de nos préoccupations. Quelle valeur économique attribuer à la qualité de l’air ou au risque d’accident mortel ? Comment intégrer dans les décisions d’investissement le bien-être des générations futures ? Les travaux de la Chaire FDIR offrent des outils qui permettent d’aborder ces questions de manière scientifique grâce à l’analyse coût-bénéfice en prenant en compte les préférences des citoyens, l’incertitude et l’ambiguïté inhérentes à la prise en compte du long-terme ou de tout ce qui touche à la vie humaine.

 

L’ISR pose aussi la question cruciale de la réalité de l’engagement des entreprises ainsi que des fonds d’investissement pour la responsabilité sociale. La tentation de faire du « greenwashing » et de s’acheter une réputation à moindre coût peut jeter le discrédit sur les efforts réels entrepris par certains fonds et entreprises et donne tout son sens aux labels et à la certification de la performance extra-financière.

Enfin, un enjeu majeur de l’ISR est de comprendre quel est son impact non seulement pour les investisseurs, leur rendement financier et leur bien-être, mais aussi sur la société dans son ensemble. Les investisseurs peuvent boycotter des entreprises, et ainsi renchérir leur coût du capital, mais ils peuvent aussi être plus actifs dans la gouvernance des entreprises en dialoguant avec les dirigeants ou en votant lors des assemblées générales d’actionnaires. Ils jouent aussi un rôle auprès des PME via la diffusion des enjeux extra-financiers au secteur du capital investissement.

Les investisseurs socialement responsables sont au cœur du capitalisme et détiennent de nombreux leviers d’action pour améliorer, lorsque c’est nécessaire, le comportement des entreprises. Les recherches de la Chaire que vous allez découvrir dans ces cahiers proposent des voies pour comprendre comment utiliser ces leviers à bon escient.

 
 

L’investissement socialement responsable, nouvelle norme pour le capital investissement ?

D’après un entretien avec Vanina Forget et l’article de Patricia Crifo et Vanina Forget, « Think Global, Invest Responsible : Why the Private Equity Industry Goes Green », publié par le « Journal of Business Ethics », août 2012.

Comment le marché français du capital investissement, le troisième au monde, appréhende-t-il la problématique de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ? L’article de Patricia Crifo et Vanina Forget, issu d’une étude approfondie des acteurs du secteur, montre que la RSE prend une place grandissante dans les préoccupations des gestionnaires, qui entendent en faire un atout pour leur développement. Elle est perçue par ceux qui sont prêts à s’impliquer davantage en la matière comme un facteur de différentiation. Savoir manager la RSE devient un avantage comparatif, avec un espoir de rendement supérieur des investissements.

L’investissement socialement responsable (ISR) dans les sociétés cotées est un marché qui se développe rapidement, et qui a fait l’objet de nombreuses études. Mais qu’en est-il de l’ISR dans les sociétés non cotées, notamment les petites et moyennes entreprises, qui sont soutenues financièrement par le secteur du  capital investissement ? L’article de Patricia Crifo et Vanina Forget  est le fruit d’une étude systématique sur la prise en compte de la problématique de la Responsabilité sociale et environnementale (RSE) par le secteur du capital investissement.

Un mouvement mainstream

Sur les marchés cotés, l’ISR est progressivement sorti d’un marché de niche réservé à des investisseurs individuels militants pour finir par intégrer les pratiques d’acteurs plus classiques, par exemple fonds d’investissement et grands fonds de pension, s’engageant plus directement en faveur d’activités ayant de meilleures performances sociales et environnementales.  L’intégration des questions de RSE dans la stratégie d’investissement des sociétés de capital investissement  a tiré profit de cette évolution et semble s’inscrire également dans une logique « mainstream », souligne Vanina Forget. Autrement dit, ce sont des acteurs conventionnels du capital-investissement qui améliorent leurs processus d’investissement habituels en y rajoutant une analyse extra-financière de la performance Environnementale, Sociale et de Gouvernance (ou critères dits « ESG »). Si tous les investissements du  capital investissement sont, évidemment, encore loin d’intégrer les enjeux ESG,  un nombre non négligeable d’acteurs de ce secteur semble s’y intéresser. Ainsi, sur la quasi-totalité des sociétés de capital investissement opérant en France qui ont reçu le questionnaire établi dans le cadre de cette étude (cf. méthodologie), près d’un quart ont montré de l’intérêt et y ont répondu, ce qui aurait été peu probable en 2009 (au moment où la charte des nations unies en faveur de l’investissement responsable – United Nations Principles for Responsible Investing, UNPRI – a commencé à se diffuser dans le secteur du capital investissement).

 

Trois facteurs d’intérêt pour la responsabilité sociale et environnementale 

Trois facteurs peuvent être mis en avant, qui expliquent l’intérêt du secteur du capital investissement pour la RSE et les enjeux ESG.

1 Un besoin de différenciation

Il y a d’abord un de besoin de différenciation. Sous l’effet de la crise économique, après la crise financière,  la concurrence pour lever des fonds se renforce et bien maîtriser les enjeux de la RSE permet au capital investissement de se différencier et d’attirer les investisseurs sensibles à ces problématiques. Ainsi, les auteurs observent que les fonds indépendants de capital investissement ont une plus grande probabilité de communiquer sur leur engagement en matière de RSE que les fonds rattachés à des grandes institutions financières (« fonds captifs »). En effet, les fonds captifs ont moins besoin de se différencier, ayant accès plus facilement aux financements. Contrairement à une idée reçue, les fonds étiquetés ISR ne sont pas exclusivement l’émanation de sociétés de capital développement de petite taille, qui auraient opté pour une stratégie de niche. En effet, la probabilité d’intégrer les critères ESG (à travers la signature de la charte des Nations unies en faveur de l’investissement responsable), s’accroît avec la taille de la société de gestion, mesurée par le nombre de salariés employés. Seuls 10% des acteurs du capital investissement en France avaient toutefois signés cette charte en 2011.

2 Un vrai suivi des sociétés en portefeuille  

Ensuite, la capacité à gérer les risques RSE et à assurer un suivi serré de ces dossiers dans les sociétés dans lesquelles on investit est perçue comme un avantage comparatif important. Un avantage que le secteur du capital investissement entend mettre en avant. Structurellement, ces investisseurs sont des actionnaires très significatifs, voire majoritaires, dans les entreprises qu’ils financent. De plus, leur horizon d’investissement est habituellement de 4 à 6 ans, soit relativement long par rapport au marché boursier (en bénéficiant notamment d’un régime fiscal favorable). En outre, le capital investissement gère simultanément deux relations caractérisées par des asymétries informationnelles : celle qui le lie en amont aux investisseurs et celle qu’il entretient en aval avec le management de l’entreprise. Or, cette dernière a fait l’objet d’une attention très forte dans la littérature, donnant lieu à une véritable « ingénierie organisationnelle» visant à inciter, à contrôler et à conseiller les managers. La prise en compte des enjeux de RSE a donc un rôle potentiel important dans cette relation d’agence avec les entreprises.

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L’enquête montre notamment que 53% des sociétés de gestion assurent un contrôle direct de la performance ESG au niveau des sociétés en portefeuille. En outre, 26% des investisseurs en capital visitent les usines et autres installations de ces sociétés.

 

3 La RSE, synonyme de création de valeur

Enfin, troisième facteur d’attrait pour la RSE,  la recherche de performance financière. Parmi les sociétés ayant répondu à l’enquête, près de la moitié pensent que la RSE est un facteur de performance économique et financière mais seules 12% ont pu en évaluer l’impact financier sur la valeur de l’entreprise.

 

Méthodologie


L’étude porte sur le marché français du capital investissement , le troisième au monde après celui des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Les auteurs ont construit une base de données décrivant la structure, les opérations, le management, le financement et les pratiques ISR de 309 sociétés de capital investissement opérant en France. Cette étude porte donc sur la quasi totalité des acteurs français. Des données ont été collectées dans le domaine public  (sites web des sociétés de gestion, communiqués, articles de la presse spécialisée) et ont fait l’objet d’une analyse économétrique. Elles sont complétées par celles issues d’une enquête,  établie en collaboration avec Novethic (Caisse des dépôts et consignations). Un questionnaire  quantitatif sur les pratiques en matière environnementale, sociale et de gouvernance a été envoyé à 308 sociétés, qui a obtenu un taux de réponse de 24%. Les réponses à l’enquête ont permis une analyse plus fine des pratiques ISR en développement dans les sociétés de gestion de capital investissement françaises et de leurs motivations.

 

Recommandations 


  • Penser la RSE comme une évolution structurelle du métier de gestionnaire de fonds de capital investissement. Ne pas être capable d’évaluer les entreprises selon ces critères sera, à l’avenir, un handicap.
  • Savoir transmettre les informations ESG aux investisseurs institutionnels.
  • Développer une expertise dans ce domaine, aux enjeux complexes, et pour ce faire, investir dans les ressources humaines.
 
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Déterminer le prix de l’avenir, un choix crucial pour nos sociétés

D’après un entretien avec Christian Gollier et son ouvrage « Pricing the future, the economics of discounting and sustainable development ».

Que ce soit pour une entreprise ou un gouvernement, déterminer le taux d’actualisation d’un bénéfice futur, ou d’un dommage causé durablement à l’environnement, est un choix fondamental. Retenir un taux d’intérêt élevé, c’est considérer que la richesse des générations futures, croissance aidant, ne justifie pas outre mesure des sacrifices en leur faveur. En revanche, un taux faible doit être retenu si cette prospérité future n’est pas assurée, compte tenu des incertitudes sur la croissance, sans parler de l’état à venir de la planète. Christian Gollier préconise ce dernier choix.

 

Le sujet est majeur. Même s’il ne fait jamais la une des medias, il occupe une place importante dans les esprits, à la fois au sein des gouvernements et dans les entreprises : quelle valeur donner à l’avenir ? Ou, plus précisément, comment actualiser, quelle valeur attribuer maintenant à un profit ou à un bien-être collectif qu’apportera à long terme un investissement réalisé aujourd’hui ? Dans les entreprises, le calcul est fait tous les jours. Tout investissement doit dégager des bénéfices suffisants, une fois leur valeur future actualisée, pour être avalisé. Mais quel doit être le taux d’intérêt qui actualise ces bénéfices à venir ?

 

Une question fondamentale pour les investissements publics…

La question se pose aussi pour les gouvernements. De façon très concrète. Au moment de décider la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire (Lyon-Turin, par exemple), dont la rentabilité se mesurera sur des dizaines d’années, il faut choisir un taux d’intérêt, qui déterminera l’avenir du projet. Si ce taux est élevé, l’investissement apparaîtra difficilement intéressant, la rentabilité à venir étant ramenée à peu de chose….

 

… et pour le développement durable

Cette problématique peut être étendue à celle du développement durable. Car s’il est possible d’estimer la valeur actuelle d’un profit futur, il est tout aussi nécessaire d’actualiser le coût d’un dégât environnemental à venir. On peut ainsi calculer les dommages futurs potentiels provoqués par l’émission aujourd’hui d’une tonne de CO2. S’agissant d’un impact à très long terme, leur valeur actuelle dépendra beaucoup du taux d’intérêt retenu. Ainsi, en utilisant un taux d’actualisation de 5 %, l’économiste Nordhaus évalue en 2008 à huit dollars les dommages actualisés d’une tonne de CO2 rejetée aujourd’hui dans l’atmosphère. Retenant un taux beaucoup plus faible, de 1,4%, Stern parvient à un prix de 85 dollars. Ce qui change tout : les dégâts apparaissent alors tellement élevés que les politiques de réduction d’émissions deviennent prioritaires.

 

Sommes-nous trop égoïstes ou…pas assez ?

L’ouvrage de Christian Gollier rend compte de l’ensemble des débats sur la détermination du taux d’actualisation. Et il pose une question fondamentale : sommes-nous trop égoïstes, en investissant insuffisamment pour le bien-être des générations futures, ou sommes-nous, au contraire, trop vertueux ? Au lieu de penser aux êtres humains qui vivront dans plusieurs dizaines d’années, les générations présentes ne devraient-elles pas consommer plus aujourd’hui, pour éradiquer la pauvreté dans le monde, par exemple ?

La question peut se poser légitimement. Car si une croissance économique positive, importante, est anticipée pour les années à venir, alors investir dans des projets collectifs qui porteront leurs fruits à long terme, ou tout mettre en œuvre pour réduire la dépense publique, revient à se priver aujourd’hui pour enrichir encore des personnes demain qui le seront beaucoup plus que nous le sommes. Dans ce cas, un taux d’actualisation important se justifie. Rappelons que, grâce à une hausse moyenne de 2 % l’an, la consommation de biens et services est aujourd’hui 50 fois supérieure à son niveau de l’époque napoléonienne !

C’est ce que les économistes appellent l’inégalité intertemporelle, qui constitue l’un des trois déterminants du taux d’actualisation selon la règle établie par l’économiste Frank P. Ramsey. Les deux autres déterminants sont l’impatience – le fait que tout individu préfère disposer d’un bien immédiatement plutôt que dans quelques années – et le taux de croissance de l’économie.

 

De grandes incertitudes sur la croissance qui justifient un taux d’actualisation réduit

Mais peut-on vraiment tabler sur une poursuite indéfinie de la croissance économique, hypothèse qui justifie un taux d’actualisation élevé ? On peut en douter, surtout pour le long terme, tant les incertitudes sont grandes sur l’avenir et les innovations futures. La prudence et l’accumulation des incertitudes sur le niveau de prospérité des générations les plus éloignées de nous justifie de retenir deux taux d’actualisation. Le premier s’appliquerait à un horizon de quelques années, pour lequel on peut encore tabler sur une croissance de l’ordre de 2 %, ou un peu moins. Dans ce cas, un taux de d’actualisation autour de 3,5 % est envisageable, à moduler en fonction des perspectives de croissance de court terme.

En revanche, à très long terme, rien ne dit qu’un tel taux de croissance sera atteint. Il a été pendant longtemps dans l’histoire humaine d’un niveau moyen bien inférieur. En outre, la croissance subit de nombreux chocs, qui la rendent incertaine. C’est d’autant plus vrai à l’heure du dérèglement climatique. Voilà pourquoi, pour des horizons très longs, un taux d’actualisation proche de 1,5 % se justifie.

Christian Gollier a contribué à ce que le gouvernement français retienne ainsi, depuis 2005, deux taux : l’un à 4 % actualisant les fruits de l’investissement en-dessous de 30 ans, et de 2 % au delà.

Méthodologie


L’ouvrage de Christian Gollier cherche à établir une théorie du taux d’actualisation, en rappelant l’ensemble des travaux précédents et en les enrichissant. Il revient ainsi sur la règle de Ramsey, qui, la première, a théorisé les modalités de détermination d’un taux optimal d’actualisation. Mais il enrichit cette théorie en l’appliquant aux environnements incertains ou à risque, ce qu’elle ne prévoit pas. Christian Gollier prend en compte, en outre, les événements dits extrêmes. Surtout, il remet en cause l’hypothèse centrale de l’ensemble de la littérature portant sur la problématique de l’actualisation, à savoir une augmentation constante de la consommation de 2 % par an sur le long terme telle que constatée depuis 200 ans.

 

Recommandations

 


  • Prendre en compte l’incertitude majeure qui entoure, pour le siècle à venir, aussi bien la croissance économique que les conditions de vie sur la planète.
  • Actualiser en conséquence les flux anticipés à long terme avec un taux d’intérêt réel relativement faible, de 1 à 2 %.

 

 
 
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Conseils d’administration: le mythe de l’administrateur indépendant

D’après un entretien avec Edouard Challe et le rapport pour l’institut CDC pour la Recherche « Conseils d’administration et performance des sociétés cotées ».

Les pressions sont allées croissantes, ces dernières années, pour augmenter le nombre d’administrateurs indépendants au sein des conseils d’administration des entreprises les plus importantes. De fait, leur proportion a augmenté sensiblement, aux Etats-Unis, d’abord, et ensuite en Europe, notamment en France. Quel est l’effet de ce changement ? Pour la première fois, une étude portant sur les grandes entreprises cotées françaises tente d’évaluer l’impact et l’efficacité d’une plus grande indépendance des conseils d’administration. Le résultat s’avère surprenant : plus la présence d’administrateurs indépendants est importante, moins bons seraient les résultats financiers immédiats.

L’idée paraît aujourd’hui évidente, s’agissant des sociétés cotées en Bourse: un conseil d’administration, composé pour une part non négligeable de personnalités indépendantes, représente un gage de performances économiques supérieures. En faisant appel à une expertise extérieure, on multiplie les chances de bons choix stratégiques, on évite les erreurs flagrantes que pourrait commettre un management livré à lui même. D’où des profits plus élevés.a

Le rapport remis à CDC Recherche par Sandra Cavaco, Edouard Challe, Patricia Crifo et Antoine Rebérioux, a le grand mérite d’expertiser, pour la première fois cette idée s’agissant de la France. Une idée qui vient de loin. Elle est née aux Etats-Unis, dès le milieu des années 80, les fonds de pension, notamment, réclamant alors qu’au moins les deux tiers des membres du conseil soient indépendants. L’affaire Enron, au début des années 2000, a bien sûr renforcé cette exigence. Les sociétés cotées ont dû s’y conformer. Alors que seuls 20% des administrateurs étaient indépendants, aux Etats-Unis dans les années 50, la quasi totalité des sociétés cotées disposent aujourd’hui d’un conseil d’administration composée en majorité de personnalités indépendantes.

 

France, Etats-Unis, Grande-Bretagne, une même structure de gouvernance ?

Qu’en est-il en France? Même si la nature juridique des grandes entreprises diffère sensiblement, entre la France, la Grande-Bretagne, et les Etats-Unis, elles ont en commun, dans la grande majorité des cas, de disposer d’un conseil d’administration, responsable en dernière instance de la gestion des actifs de la société et chargé du contrôle de la direction. Une autre organisation du contrôle des sociétés est possible en France, semblable à celle retenue en Allemagne : il s’agit de la société avec directoire et conseil de surveillance, les deux étant dissociés. Mais seules 22% des sociétés de l’échantillon retenu, avec l’aide du cabinet Proxinvest (cf méthodologie) ont adopté cette structure. Les conseils d’administration comprennent, en moyenne, 10 membres (14 pour les sociétés du CAC 40), d’un âge moyen de 58 ans. Avec quelle proportion d’administrateurs indépendants ?

 

Plus d’administrateurs indépendants dans les sociétés du CAC 40

Le Medef et l’Afep ont publié en 2003 un document unique, servant de référence pour la gouvernance des sociétés cotées. Ce texte ne fixe pas de norme, s’agissant des administrateurs indépendants, mais il exige une publication de leur nombre. Une façon d’inciter à augmenter leur proportion.

L’idée est du reste communément admise, que les grandes sociétés françaises se sont mis aux normes pendant les années 2000, augmentant « l’indépendance » de leurs conseils. Qu’en est-il réellement?

Si l’on retient cette définition relativement restrictive, il apparaît que le poids des administrateurs indépendants n’a quasiment pas évolué au cours des années 2000. S’agissant de l’ensemble des sociétés de l’échantillon, ils  représentaient 27,8% des conseils en 2003, et 28,9% en 2012. On relève seulement une forte progression en 2011, qui ne concerne que le CAC 40. La proportion d’indépendants a grimpé de 34,3% en 2010 à 40,3% en 2011. Cette évolution serait à mettre en lien avec une plus grande féminisation des conseils, à partir de 2011.

Une corrélation négative entre indépendance et performance financière, mais positive entre indépendance et performance non financière

Quelle est la performance des sociétés qui ont fait le choix d’administrateurs « indépendants » ? Deux critères financiers peuvent être utilisés. La rentabilité économique (Return on Asssets, ROA), mesurée par le rapport entre le profit brut de l’entreprise (hors charges financières) et l’ensemble de ses ressources (fonds propres et dettes). Et la rentabilité financière (Return on Equity, ROE), qui adopte le point de vue des actionnaires. Il s’agit de savoir quel profit net (des charges financières) génèrent les fonds propres de la société. Que le premier critère ou le second soient retenus, l’analyse économétrique fait apparaître une corrélation négative entre le degré d’indépendance des conseils et profits.

Selon certaines études américaines, ce résultat serait biaisé : c’est parce que leurs performances financières seraient mauvaises que les sociétés rendraient leurs conseils plus indépendants. Mais ce biais n’est pas constaté en France. Pourquoi l’indépendance des conseils est-elle synonyme de moins bons résultats ? Cela pourrait être lié à un déficit d’information dont pâtiraient les administrateurs indépendants, dans un contexte d’évolution de leur rôle. Ceux-ci ne pourraient pas jouer pleinement leur rôle de conseil s’agissant de la stratégie de l’entreprise, faute d’information suffisante. Mais ce n’est là qu’une hypothèse. A noter que la plus mauvaise performance « comptable » de ces sociétés n’entache pas leur valorisation par les investisseurs (telle que mesurée par le Q de Tobin). La Bourse, qui valorise l’ensemble des performances présente et futures, estime ainsi que l’effet « indépendance » est susceptible d’être lissé dans le temps.

Par contraste, un plus grand degré d’indépendance semble dans le long terme être associé à une meilleure performance non financière des entreprises, notamment en termes de gestion des ressources humaines et de préservation de l’environnement.

Méthodologie

Les auteurs se sont appuyés sur des données fournies par Proxinvest, agence française spécialisée dans le conseil destiné, principalement, aux fonds d’investissement, en matière de politique de vote lors des assemblées générales. L’échantillon retenu comprend 341 sociétés cotées en Bourse, suivies au moins deux ans sur la période 2003-2012. Il couvre une large partie des sociétés relevant de l’indice SBF 250 (80% d’entre elles à partir de 2006) ainsi que certaines d’une taille plus modeste. La définition de l’administrateur indépendant retenue par Proxinvest est plus restrictive que celle de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Est considéré comme indépendant l’administrateur qui, notamment, n’a pas été membre du conseil depuis plus de neuf ans, n’appartient pas à la direction de la société (ni à celle d’une autre entreprise dans laquelle siègerait un membre de la direction de la société visée), et ne posséde pas plus de 3% des droits de votes, et enfin, n’est pas en relation d’affaire avec sous quelque forme que ce soit avec la société dont il est administrateur.

 
Recommandations

  • Mettre en œuvre la réglementation actuelle, qui mène à la diversité des conseils. Les sociétés cotées devront afficher un taux de féminisation de 20% en 2014, puis de 40% en 2016. Le pacte de croissance issu du rapport Gallois devrait aboutir à l’ouverture des conseils à deux représentants des salariés (avec voix délibératives).
  • Il revient aux investisseurs et autres parties prenantes concernées de réfléchir à la composition la plus adaptée au modèle d’affaire de leur entreprise, dans le respect des règles en place.
 
 
 
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Pourquoi les gouvernements vont trop loin dans l’utilisation du principe de précaution

D’après un entretien avec Nicolas Treich et son article « The value of a statistical life under ambiguity aversion » publié dans le « journal of environmental economics and management », janvier 2010.

Les gouvernements et les autorités qui en dépendent investissent beaucoup dans la lutte contre les risques difficilement quantifiables, comme des risques sanitaires ou environnementaux (vache folle, virus de la grippe H1N1, pollution des sols…). Au nom du principe de précaution, il y a un risque à surpondérer ces menaces mal mesurées par rapport à des risques classiques tels que les accidents de travail ou de la route. Or, en utilisant la technique de la valeur statistique de la vie humaine, Nicolas Treich suggère que cette préférence ne correspond pas nécessairement à une volonté exprimée par les citoyens.

 

Etablis par des agences de notation extra financière, les bilans diffusés en matière de RSE (Responsabilité sociale de l’entreprise) délivrent des informations très variées. Elles portent aussi bien sur la sécurité au travail (nombre d’accidents) que sur la qualité des produits vendus, ou les émissions de CO2 liées à l’activité industrielle de l’entreprise. L’idée est désormais bien établie que les conséquences environnementales et sociales de l’activité économique et de la production de telle ou telle entreprise doivent être prises en compte. Mais comment valoriser la sécurité au travail, par exemple, d’un point de vue social ? Cette valorisation est nécessaire, si l’on veut être en mesure de comparer l’impact social et environnemental de deux entreprises. Par exemple, l’une générant beaucoup de CO2 par rapport à une autre, moins polluante mais où les accidents sont encore très nombreux. C’est au moyen d’une analyse coût/bénéfice que cette valorisation peut être tentée. Une valorisation qui, seule, permet donc d’établir des comparaisons valides.

 

Evaluer le consentement à payer

Avec quelle méthode l’obtenir ? Pour déterminer l’importance d’un risque aux yeux d’une population, on peut évaluer ce que les individus consentent à payer pour l’écarter ou du moins le diminuer. Il sera alors possible d’estimer le bénéfice, aux yeux des citoyens, d’une politique de prévention de ce risque. C’est la méthode dite de la VSL (Value of Statistical Life), c’est-à-dire la valeur statistique de la vie humaine, qui a fait l’objet de nombreuses études aux Etats-Unis (cf. méthodologie). Cette approche complémente celle du capital humain, qui mesure seulement le coût de la perte d’une vie en termes de perte de salaire futur, mais pas de préférences face au risque.

Cette valeur statistique de la vie humaine varie fortement selon les domaines et risques concernés, et, bien sûr, selon les pays. Elle se situe le plus souvent entre 1 et 10 millions de dollars.

 

Aversion pour l’ambiguïté et valeur de la vie humaine

Un facteur peut contribuer à augmenter la VSL, c’est l’aversion pour l’ambiguïté. Différents événements qui ont marqué l’actualité ces dernières années – on peut penser, en France, à l’épisode de la vaccination contre le virus H1N1, en 2009 – témoignent de ce phénomène : a priori, les populations redoutent encore plus les crises sanitaires ou environnementales quand elles ont du mal à en mesurer la portée et les conséquences exactes. Logiquement, ce comportement devrait se traduire par une augmentation de la valeur statistique de la vie humaine face à cette incertitude. Les citoyens devraient être prêts à payer plus, pour diminuer un risque mal mesuré, qui les inquiète.

Nicolas Treich montre que la VSL augmente effectivement avec cette ambiguïté. Mais un exercice de calibration suggère aussi que cette augmentation devrait être minime. Autrement dit, l’écart estimé entre la VSL face à un risque bien compris et celle face à un risque ambigu n’est pas si important, et la VSL devrait continuer à s’établir entre 1 et 10 millions de dollars.

 

Les gouvernements surpondèrent les risques incertains

Ce résultat a d’importantes implications pour les politiques publiques. Car la plupart des gouvernements et des agences accordent au contraire une place prépondérante aux politiques visant à réduire les risques ambigus. Des études américaines montrent par exemple une tendance des autorités sanitaires à surestimer les risques environnementaux mal mesurés (par exemple s’agissant du risque de cancer lié à des colorants alimentaires) par rapport à d’autres mieux établis. En cas d’incertitude, les responsables et les spécialistes en analyse de risque retiennent souvent les données scientifiques et médicales les plus extrêmes pour déterminer leur politique. Du coup, la plupart des normes et règles imposées par les agences de régulation pour la protection de l’environnement ont un coût implicite souvent bien supérieur à 10 millions de dollars par vie sauvée, c’est-à-dire bien supérieur aux valeurs maximales estimées pour la VSL.

Nicolas Treich souligne ainsi que les préférences exprimées par les populations, et mesurées par la technique de la VSL, ne semblent pas justifier la surpondération qu’accordent souvent les responsables politiques aux risques ambigus. De fait, au nom du principe de précaution, on dépense beaucoup pour lutter contre des crises environnementales aux conséquences très incertaines, au lieu d’investir dans la réduction de risques bien connus et plus problématiques comme les accidents du travail ou ceux de la route.

Méthodologie


L’étude repose sur l’utilisation de la méthode d’analyse coût/bénéfice. Le coût d’un risque – sanitaire, environnemental… – est connu, de même que celui d’une politique de prévention pour le réduire. Il s’agit de savoir quel serait le bénéfice, du point de vue de la population concernée, de la diminution de ce risque. Pour ce faire, on détermine ce que les citoyens seraient prêts à payer pour financer une politique de prévention, conduisant à réduire ce risque. On utilise la technique de la valeur statistique de la vie humaine ou VSL. Exemple : imaginons une population d’un million de personnes, à laquelle on propose un projet d’amélioration de la sécurité permettant de diviser par trois la probabilité de décès. Celle-ci passerait de 3/100.000 à 1/100.000 (soit 20 vies épargnées). Après étude, on constate que les individus sont prêts à payer 100 euros en moyenne pour atteindre cet objectif. Considérée globalement, la population veut bien payer 100 millions d’euros pour cette politique de sécurité. Cela représente donc cinq millions d’euros par vie sauvée. Ces cinq millions correspondent à la VSL.

 

Recommandations 


  • Pour évaluer la valeur d’un investissement socialement responsable, il convient d’utiliser l’analyse coût/bénéfice.
  • Déterminer la valeur sociale d’un décès évité au moyen d’une évaluation de la valeur statistique de la vie humaine.
  • Accorder moins d’importance au principe de précaution, qui ne justifie pas toujours les investissements massifs actuels.
 
 
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L’investissement socialement responsable en mal de labellisation

D’après un entretien avec Jean-Pierre Ponssard et l’article de Samer Hobeika, Jean-Pierre Ponssard et Sylvaine Poret : « le rôle stratégique d’un label dans la formation d’un marché : le cas de l’ISR en France ».

L’investissement socialement responsable se développe, en France, depuis le milieu des années 2000. Mais, alors que nombreux sont les particuliers à s’intéresser à cette problématique, il existe des freins à la structuration de ce marché. Des labels sont apparus, ce qui correspondait à un besoin des épargnants. Mais ils ont été plus conçus à partir du point de vue des sociétés de gestion que de celui des particuliers-investisseurs. Et les réseaux de distribution de l’ISR, banques et assurances, sont loin d’en faire une priorité. 

 

Incontestablement, le marché de l’Investissement socialement responsable (ISR) se développe en France. A grande vitesse. Les encours détenus par les particuliers sont passés de 16,8 milliards d’euros en 2005 à 68,3 milliards en 2010. En 2011 la croissance a été plus que forte (+69% !). En dépit de cet engouement, l’ISR ne représente encore qu’une partie marginale de l’ensemble des fonds ouverts à l’épargne du public (moins de 7%). Le développement de ce marché est freiné par plusieurs facteurs, dont, au premier chef, l’information du public. Comme le montre l’article de Samer Hobeika, Jean-Pierre Ponssard et Sylvaine Poret, des labels existent, qui devraient donner des repères aux particuliers-investisseurs, et favoriser une structuration du marché. Mais ces labels peinent à jouer leur rôle.

Les biens de confiance et le rôle stratégique de la labellisation

Les biens de consommation peuvent être classés en trois catégories : le bien de recherche que le consommateur peut l’évaluer avant l’achat, au besoin en effectuant des recherches longues et coûteuses ; le bien d’expérience que l’acheteur apprend à connaître ou apprécier en répétant les achats et enfin le bien de confiance. Dans ce dernier cas, le consommateur n’a pas les moyens de savoir si le produit qu’il a l’intention d’acheter correspond vraiment aux qualités recherchées. Il a besoin d’une expertise tierce, qui peut prendre la forme d’un label.

C’est le cas avec le marché de l’ISR :  l’épargnant est incapable de déterminer lui même si le fond dans lequel il serait prêt à investir correspond aux normes de l’ISR. Il aurait donc besoin d’un label et de conseils précis pour déterminer son choix. C’est à ces conditions que le marché de l’ISR pourra se structurer et poursuivre son développement. Sont-elles réunies ?

 

Commerce équitable et agriculture biologique, deux exemples de labels structurants

Avant d’aborder spécifiquement la situation de l’ISR, les auteurs ont élaboré une grille d’analyse du rôle de la labellisation (cf méthodologie). Deux secteurs peuvent illustrer la dynamique enclenchée par l’instauration de labels et le rôle qu’ils peuvent jouer dans la structuration d’un marché: le commerce équitable et l’agriculture biologique. Dans le premier cas, après une période d’intense concurrence et une intervention avortée de l’Etat, un label domine le « marché », c’est Max Haavelar, à côté duquel subsistent d’autres labels aux exigences moindres.  Les acheteurs d’un produit labellisé Max Haavelar, un café par exemple, savent que toute la chaîne de production respecte des normes sociales et environnementales très strictes.

En revanche, s’agissant de l’agriculture biologique, c’est l’Etat qui, face à une situation de grande concurrence et de confusion, a créé la norme AB, premier standard public en Europe. Ce label a eu un effet positif sur le marché, en amenant une standardisation de l’agriculture bio et en provoquant l’entrée de nouveaux industriels de l’agro-alimentaire. Il répond au besoin d’information du consommateur, et permet un développement des ventes.

 

Trois organismes pour l’Investissement socialement responsable

S’agissant de l’ISR, la situation est beaucoup moins claire. Trois organismes ont conçu des labels ou ont pris des initiatives équivalentes. Le comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES) a pour particularité d’imposer aux sociétés gérant des fonds ISR de constituer une équipe interne spécialisée dans cette problématique, ce qui était une innovation. L’Association française de gestion financière (AFG) a conçu, elle, un code de transparence. Enfin, Novethic (Caisse des dépôts) a lancé en 2009 le label ISR Novethic.

Ce lancement a eu impact important sur le marché, compte tenu des exigences importantes de ce label, qui a voulu poser une définition rigoureuse de l’ISR. Mais répond-on vraiment aux besoins des particuliers ? Les fonds labellisés par Novethic ont été le plus souvent conçus sur la base d’une approche best in class : ils sont investis dans tous les secteurs d’activité, en retenant les entreprises qui peuvent se prévaloir des meilleures pratiques environnementales et sociales dans chacun des secteurs. Or, les particuliers, qui connaissent surtout les fonds solidaires et  éthiques, préfèrent les approches thématiques, privilégiant certains secteurs et excluant d’autres : ainsi, ils préfèrent ne pas investir dans les entreprises pétrolières, à l’impact fortement négatif sur l’environnement. Ou alors, ils veulent exclure certaines entreprises, controversées, lesquelles se retrouvent trop souvent dans les portefeuilles des fonds labellisés par Novethic. Il y a donc un hiatus entre les normes proposées, et les attentes des « consommateurs » pas toujours bien cernées du fait de la nature même du bien.

La question de la distribution

Outre la question du label, se pose celle de la distribution des « produits » ISR. Or, la promotion de ces investissements par les réseaux bancaires auprès de la clientèle reste encore  trop rare. Dès lors, les labels ne peuvent vraiment jouer leur rôle…

Méthodologie


Les auteurs ont conçu une grille d’analyse destinée à cerner le rôle stratégique que peut jouer la labellisation dans la structuration d’un marché.  Elle s’appuie sur trois éléments. D’abord les caractéristiques des labels (pertinence, critères choisis, conditions de leur efficacité). Ensuite, l’examen des organismes concepteurs (ONG, entreprises, Etat, organismes privés). Et enfin, l’analyse de  la concurrence entre ces labels. A cet égard, il peut y avoir différenciation horizontale (les labels correspondent à des caractéristiques différentes des produits, pour une qualité équivalente) ou verticale: certains labels se veulent plus exigeants que d’autres, et permettent alors de mettre en avant la qualité supérieure d’un produit, face à des concurrents qui labellisent des produits équivalents mais de moindre qualité. Dans ce cas de produits équivalents, une concurrence forte entre labels est à terme destructrice : l’un d’entre eux (ou un petit groupe) finit par s’imposer.

Recommandations


  • Mieux vaut développer des labels complémentaires répondant à différents objectifs plutôt qu’un label unique. Cela permet de répondre à la fois aux demandes des fonds ISR et aux attentes des investisseurs individuels.
  • La distribution des produits ISR devrait s’appuyer sur une approche plus fine des réseaux de vente, en ciblant mieux les clientèles.
  • La recherche de modalités de  collaboration entre organismes labellisateurs et réseaux de distribution devrait donner lieu à réflexion compte tenu des incitations pas toujours convergentes.
 
 
 

Une stratégie d’engagement pour l’investissement socialement responsable

D’après un entretien avec Sébastien Pouget et l’article « Asset prices and corporate behavior with socially responsible investors » coécrit par Christian Gollier (Toulouse School of Economics) et Sébastien Pouget (Toulouse School of Economics and IAE de Toulouse), Décembre 2012.

L’investissement socialement responsable (ISR) attire les épargnants, notamment pour des raisons éthiques. Mais qu’en est-il de sa rentabilité ? Dépassant la vision classique arguant que la performance de l’ISR n’a pas de raison de dépasser celle des investissements dits classiques, Christian Gollier et Sébastien Pouget ont conçu une stratégie d’investissement fondée sur l’engagement et le dialogue avec les entreprises. L’idée est d’investir dans des entreprises non responsables (et donc sous-valorisées selon les auteurs), et d’en améliorer la responsabilité sociale afin de pouvoir les revendre avec une prime à d’autres investisseurs socialement responsables. Cette analyse montre sous quelles conditions il est possible d’adopter avec succès une telle stratégie d’investissement.

 

Bien que représentant encore un pourcentage relativement faible des actifs sous gestion, de l’ordre de 5% en Europe, l’investissement socialement responsable (ISR) connaît un rapide essor. Les investisseurs qui optent pour l’ISR font le choix du long terme et prennent en compte la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans lesquelles ils investissent. Il est clair que la RSE peut être un facteur de bonne performance économique pour les entreprises, grâce notamment à des marges plus élevées, à des recrutements plus aisés, ou à une capacité d’innovation plus importante.

Mais est-il possible que l’ISR soit aussi plus rentable pour l’investisseur que les placements classiques ? L’article de Christian Gollier et Sébastien Pouget entend le démontrer, et surtout décrire à quelles conditions des portefeuilles ISR peuvent « surperformer » une gestion traditionnelle.

 

La théorie standard : l’ISR ne peut pas être plus profitable que l’investissement classique

La théorie standard enseigne que, si les marchés sont efficients, la performance des fonds ISR n’a aucune raison de dépasser celle des investissements classiques. En effet, si la RSE est vraiment plus profitable pour l’entreprise, l’ensemble des investisseurs va l’anticiper, les cours vont monter, et les rendements attendus pour les entreprises responsables vont baisser et ne seront pas différents de ceux des entreprises non responsables.

Nouvelles approches : l’ISR peut être plus performant sous certaines conditions

Il existe tout de même trois raisons pour lesquelles l’ISR pourrait faire mieux que le marché en mettant en œuvre suffisamment de ressources financières et humaines pour y parvenir.

La première, c’est que les fonds traditionnels peuvent passer à côté de certaines informations, concernant des problématiques environnementales, sociales ou de gouvernance (ESG), qui peuvent impacter sensiblement l’activité des entreprises. Les fonds ISR ont des méthodologies d’analyse qui les aident, au contraire, à être très au fait de telles informations, de mieux comprendre leurs implications. Ils seraient donc mieux placés pour sélectionner les titres les plus prometteurs.

La deuxième raison tient à l’existence d’un engouement pour la RSE lié à la prise de conscience de l’importance d’enjeux environnementaux et sociaux tels que le réchauffement climatique ou le travail forcé. Les titres des sociétés considérées comme vertueuses, de ce point de vue, ont fortement augmenté, avec la montée en puissance des différents enjeux de RSE. Les fonds ISR qui seraient particulièrement aptes à détecter les nouvelles tendances dans les domaines de l’environnement, du social ou de la gouvernance, et à analyser la performance des entreprises dans ces domaines, pourraient anticiper sur les mouvements de marché.

 

Transformer une entreprise pour la valoriser « ISR » : la stratégie d’engagement

Il existe une troisième raison pour laquelle l’investissement responsable peut offrir des rendements supérieurs. Elle constitue l’objet principal de l’étude de Christian Gollier et Sébastien Pouget. Leur idée ? Il est possible, pour un fonds ISR, d’investir dans une entreprise dite « sale », ne répondant absolument pas aux normes de la RSE, et de la transformer afin qu’elle se conforme strictement à ces normes. L’intérêt financier de cette stratégie du type « machine à laver » paraît là évident : alors qu’elle est initialement délaissée par le marché, et donc sous-valorisée, l’entreprise, une fois transformée, sera au contraire attirante, et fortement valorisée.

Trois conditions doivent cependant être réunies pour la réussite de cette stratégie. Il faut d’abord que les fonds d’investissement soient en mesure d’acquérir une influence significative sur les entreprises cibles. Faute de quoi, ils ne seraient pas en mesure de mettre en œuvre les changements envisagés. Ensuite, la stratégie ne peut être mise en œuvre que par un investisseur avec un horizon de long terme. En effet, il doit pouvoir s’engager, de manière crédible, à demeurer impliqué dans l’entreprise suffisamment longtemps pour que la RSE s’améliore. Enfin, le fonds lui-même doit pouvoir donner des gages de crédibilité en matière de RSE. Sinon, il ne parviendra pas à convaincre le marché de la réalité des engagements pris par la société.

 

Une stratégie qui peut être rentable

La stratégie de la machine à laver peut être mise en œuvre en solo par des fonds tels que des fonds de private equity ou des hedge funds, qui peuvent prendre le contrôle des entreprises dans lesquelles ils investissent. Elle peut aussi être utilisée par un groupe de fonds tels que des OPCVM ou des fonds de pension à condition d’avoir une politique d’engagement (par exemple de vote aux assemblées générales) suffisamment coordonnée. Il est dans ce cas important de bien évaluer le risque d’action de concert qui pourrait être préjudiciable à la réussite de la stratégie.

Des études empiriques montrent un certain potentiel de rentabilité pour les stratégies d’investissement fondées sur l’engagement autour de l’ESG. L’attractivité de la stratégie de la machine à laver dépendra au bout du compte du ratio entre le rendement anormal obtenu sur les marchés financiers et le coût des ressources mises en œuvre pour l’obtenir.

Méthodologie


Dans un marché donné, investisseurs responsables et traditionnels coexistent. Tous deux vont influencer les prix des actifs financiers, via leurs offres et demandes de titres. Ils peuvent aussi jouer sur la stratégie des entreprises dans lesquelles ils investissent en dialoguant avec les dirigeants des entreprises, en votant lors des assemblées générales d’actionnaires, en pesant sur la nomination des membres du conseil d’administration. Christian Gollier et Sébastien Pouget analysent les conséquences des stratégies d’investissement et d’influence en construisant un modèle d’évaluation financière qui va au-delà du Modèle d’Evaluation des Actifs Financiers (MEDAF). Ils prennent en compte les motivations extra-financières et l’engagement des investisseurs responsables envers une meilleure performance environnementale et sociale. Leur modèle va plus loin sur un autre point : les acquéreurs d’une entreprise anticipent la stratégie de celle-ci, mais contribuent aussi, comme on l’a vu, à la modifier. D’où un système en boucle que les auteurs prennent en compte en utilisant la théorie des anticipations rationnelles.

 

Recommandations


  • Pour réussir, la stratégie d’investissement dans une entreprise qui n’applique pas les critères de la RSE doit s’accompagner d’un contrôle très strict des coûts de transformation et de mise aux normes.
  • Des fonds peuvent intervenir individuellement. Ce peut être le cas aussi d’un groupe de fonds. Il est alors nécessaire de mettre en oeuvre une politique d’engagement coordonnée, afin de peser véritablement sur les orientations stratégiques des entreprises.

 

Article de recherche lié 


A Theory of Profitable and Effective Socially Responsible Investments.pdf