Pour faire face au défi majeur que constitue le réchauffement climatique, le secteur financier a un rôle important à jouer en orientant les capitaux vers une économie bas-carbone. Et cet enjeu crucial, visant à rendre la finance plus verte et durable, nécessite l’apport de la recherche académique. La 6e édition de la conférence Green Finance Research Advances – coorganisée par l’ILB et la Banque de France dans un format hybride, qui s’est déroulée les 7 et 8 décembre derniers – a été l’occasion de revenir sur les dernières avancées dans ce domaine.

Cette conférence scientifique internationale a débuté par l’intervention de Jean Pisani-Ferry, qui a présenté ses travaux sur les implications macroéconomiques de la transition climatique. L’économiste, affilié à l’Institut Bruegel, l’European University Institute et le Peterson Institute for International Economics, a expliqué pourquoi la transition climatique est devenue un enjeu macroéconomique, alors que d’après l’approche traditionnelle, cette problématique est plutôt enracinée dans l’économie publique : « La prise de conscience de l’urgence climatique en a fait un problème macroéconomique pour plusieurs raisons : le changement brusque de trajectoire et des objectifs à plus court terme, d’ici à 2030 ; l’augmentation du prix du carbone ; les réglementations plus strictes (par exemple, l’interdiction de vendre des systèmes de chauffage à combustibles fossiles et des voitures à moteur à combustion) ».

 

Des incertitudes sur les coûts de la transition climatique

Il est vrai que la transition climatique engendre des changements soudains, en particulier pour l’Union Européenne dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2050. À cette échéance, les émissions nettes de carbone doivent tendre vers 0, ce qui n’est réalisable qu’avec une augmentation importante du prix du CO2. Dès lors, les conséquences macroéconomiques peuvent être variables selon l’intensité et les modalités de la transition, suscitant ainsi de nombreuses interrogations : le développement des technologies bas-carbone permettra-t-il d’avoir une transition à faibles coûts ? Comment faire face aux importantes incertitudes ? La prise en compte relativement tardive de la transition ne sera-t-elle pas trop couteuse ?

« Il est nécessaire d’avoir un cadre permettant de clarifier les questions politiques pertinentes à différents horizons », a indiqué Jean Pisani-Ferry, qui a poursuivi son intervention par la présentation d’un cadre analytique se basant sur un scénario optimal de transition vers des émissions nettes zéro en 2050. Ce dernier intègre les conséquences d’un changement de trajectoire non anticipé sur le stock de capital, ainsi que des frictions (réallocation, capital échoué et actifs échoués, crédibilité insuffisante, politiques inefficaces, instabilité macroéconomique). Avec cette démarche analytique, il est possible ensuite de modéliser les implications de l’action climatique sur les coûts de la transition, la politique macroéconomique et les finances publiques.

 

Le choc induit par la transition peut être sévère

Si le besoin de recourir à un cadre analytique pour estimer les impacts macroéconomiques liés à l’action climatique est pertinent et nécessaire, de nombreuses interrogations à différentes échéances subsistent. Un exemple frappant concerne la hausse du prix du carbone et le renforcement des contraintes réglementaires, qui entraînent un choc d’offres à court terme. « Quel devrait être le prix du carbone ? Actuellement, au niveau mondial, la tonne se situe entre 3 et 10 dollars, selon le FMI. Mais, en reprenant le chiffre de 75 dollars la tonne issu de la commission Stiglitz-Stern et en le multipliant par le nombre de gigatonnes émises dans l’atmosphère, l’augmentation du prix du carbone représenterait 3,1 % du PIB mondial de 2019, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973 », a estimé Jean Pisani-Ferry. Et ce choc très important affecterait l’ensemble de l’économie mondiale, mais beaucoup plus les pays émergents que les pays avancés.

Outre les effets liés à la hausse des prix du carbone, l’économiste a décrit d’autres catégories de coûts pouvant alourdir ceux de la transition : les actifs échoués ; l’hétérogénéité, les faillites et la réallocation du travail dans les secteurs les plus touchés, le manque de crédibilité des politiques climatiques face aux objectifs à atteindre et l’instabilité économique. Ici encore, ce sont les pays émergents, qui seront les plus impactés.

En guise de conclusion, Jean Pisani-Ferry a rappelé les défis analytiques et économiques à relever permettant de mieux comprendre les conséquences macroéconomiques de la transition climatique, tout en insistant sur l’intérêt d’un agenda politique clair et transparent pour : « Identifier et nommer les avantages et les coûts pour un avenir souhaitable et/ou une transition difficile, définir un programme d’action pour minimiser les coûts et des lignes directrices pour les finances publiques, atténuer l’instabilité. »

 

L’évaluation de la transition climatique à travers différents modèles

Alors que les coûts macroéconomiques liés à la transition climatique peuvent être à la fois variables, importants et très incertains, la suite de la conférence s’est poursuivie avec la comparaison des modèles utilisés pour anticiper au mieux la transition. À cette occasion, les premiers résultats de travaux techniques réalisés par quatre institutions françaises (Ademe, Seureco, Cired et la Banque de France) ont été dévoilés, expliqués et confrontés. Cette première demi-journée s’est terminée par des échanges entre les intervenants afin de confronter les différents points de vue et méthodologies.

 

Un pont entre la recherche académique et les professionnels

Après la demi-journée de la veille, le second jour de la conférence a démarré en rappelant le besoin de rapprocher les chercheurs académiques, les régulateurs et les praticiens de la finance. « L’objectif de cette conférence est de faire le pont entre les chercheurs académiques et les praticiens du secteur financier pour échanger sur l’évolution des risques liés au changement climatique », a déclaré Nathalie Aufauvre, directrice générale de la stabilité financière et des opérations à la Banque de France, tout en ajoutant que : « Avec le développement de la finance verte au sein des banques centrales, des institutions académiques et du secteur privé, plus de recherche est nécessaire pour faciliter les échanges et essayer d’avoir un agenda commun. »

 

Les entreprises face aux risques climatiques

Après ces propos introductifs, des présentations de travaux académiques se sont succédé. Quyen Nguyen, post-doctorante à l’Université de Otago en Nouvelle-Zélande, a ainsi abordé les effets du risque climatique sur les faillites des entreprises. Dans son étude, la chercheuse a analysé l’évolution de la structure d’endettement (emprunts, obligations) d’un échantillon d’entreprises américaines non financières faisant partie de l’indice S&P 500 entre 2010 et 2018 : « Le risque de transition n’est pas seulement à long terme, c’est aussi un phénomène actuel, comme l’a montré la faillite de l’électricien californien PG & E en 2019 », avant de décrire l’un de ses principaux résultats : « Le risque climatique physique a des effets négatifs sur les entreprises en augmentant le risque de défaut. Ces effets ont progressé avec l’Accord de Paris, mais se sont atténués les années suivantes. »

De son côté, Julien Daubanes, chercheur à l’Université de Genève et au MIT, a abordé le sujet des obligations vertes dont les émissions de la part d’entreprises ont considérablement progressé depuis 2013. Dans son travail de recherche, il a souhaité comprendre les raisons pour lesquelles les entreprises émettent ce type de titres. Quelles sont-elles ? Empiriquement, il a été constaté que les obligations vertes permettent de doper les performances boursières des sociétés émettrices et de réduire leurs empreintes environnementales. Et d’après ses résultats : « Les obligations vertes sont efficaces lorsque les prix du carbone sont suffisamment élevés. Elles sont donc complémentaires et ne permettent pas de se substituer à un prix du carbone ». Quid des motivations des émetteurs ? « Les incitations à émettre des obligations vertes proviennent de considérations de court terme et d’intérêts financiers émanant des managers dont la rémunération variable est indexée sur les performances boursières. »

Pour sa part, Jean-Stéphane Mésonnier, rattaché à Sciences Po Paris et la Banque de France, a étudié les bénéfices liés à l’obligation qu’ont les institutions financières à communiquer leurs financements des énergies fossiles. Cette question est largement débattue depuis la COP21 de Paris. À la suite des recommandations du TCFD (Task Force on Climate Financial Disclosure), les régulateurs de nombreux pays ont mis en place ce dispositif, notamment en France à partir de 2016. Selon le chercheur, la loi française a engendré une réduction relative de 44 % dans la détention d’entreprises fossiles par les institutions financières. Malgré ce résultat significatif les gérants d’actifs restent la classe d’investisseurs la plus exposée aux énergies fossiles. Pour conclure, Jean-Stéphane Méssonier livre plusieurs recommandations : « Les obligations de communication sur l’exposition aux énergies fossiles sont des régulations à étendre à davantage d’investisseurs et idéalement au niveau européen. Les coalitions volontaires peuvent aider, mais pas autant que les régulations. Enfin, l’amélioration des pratiques implique l’harmonisation des reportings. »

Enfin, pour compléter cette matinée dédiée à l’exposition des entreprises au risque climatique, Romain Svartzman de la Banque de France a présenté des travaux sur la biodiversité. Si ce sujet a longtemps été mis de côté la priorité étant donnée à la lutte contre le changement climatique, il est de plus en plus discuté au sein de la sphère financière : que ce soit le secteur privé avec la coalition Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) ou les banques centrales avec le Réseau pour le verdissement du système financier (connu sous l’acronyme anglais NGFS – Network for Greening the Financial System). De fait, les activités économiques sont très dépendantes des services offerts par les écosystèmes naturels. Ce lien de dépendance peut entraîner des conséquences directes sur les entreprises concernées et par ricochet sur les acteurs financiers, qui y sont exposés.

 

La recherche en finance verte récompensée

La dernière demi-journée de la conférence – l’après-midi du 8 décembre – a permis d’attribuer le prix « Jeunes Chercheurs en Finance Verte », financé et décerné par la Banque de France. « Ce prix a été lancé il y a quatre ans pour les doctorants et les jeunes docteurs, qui sont affiliés à des institutions académiques françaises. Et cette année encore, nous avons reçu d’excellentes candidatures », a déclaré Emmanuelle Assouan de la Banque de France, avant d’attribuer le prix à Mathias Reynaert de la Toulouse School of Economics pour ses travaux sur la régulation environnementale du marché automobile européen.  « Je suis honoré de recevoir ce prix, qui marque la reconnaissance de mon travail de recherche en économie environnementale », a ainsi témoigné le jeune chercheur.

 

Les modélisations pour la finance verte

Dans la dernière ligne droite de cet évènement, Frédéric Ghersi, chercheur au Cired et Peter Tankov, chercheur au CREST et responsable scientifique du programme de recherche Green and Sustainable Finance de l’ILB, ont présenté leurs travaux, émanant d’un numéro de la Collection Opinions & Débats, éditée par l’ILB, intitulé Scénarios et modèles économie-climat : une grille de lecture pour la finance durable.  Ce dernier livre propose un état de l’art et les principaux défis à relever dans le cadre des modèles climatiques intégrés, qui sont devenus « une jungle » au cours des 30 dernières années.

De fait, entre les différents scénarios à utiliser, les informations à extraire ou encore, les degrés d’incertitude à quantifier, les niveaux de complexité sont tels qu’il est aujourd’hui difficile, pour une institution financière, de recourir à ces modèles qui sont pourtant nécessaires pour évaluer l’alignement des portefeuilles avec l’Accord de Paris, ainsi que mesurer les risques de transition et les risques physiques. « La meilleure option est de sceller des partenariats entre les académiques et les agents économiques pour apporter une caution et une crédibilité scientifique », a conclu Peter Tankov. En clair, les passerelles entre les académiques et professionnels sont plus que jamais nécessaires. Une recommandation idoine puisque c’est l’une des vocations initiales de cette conférence internationale, qui donne rendez-vous en décembre 2022 pour une nouvelle édition.

 

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