Sujet, sinon mineur, du moins de second ordre, avant la crise des subprimes déclenchée à l’été 2007, la liquidité est devenue une préoccupation majeure. Pour le monde financier, bien sûr, qui a dû affronter la crise de confiance entre banques et ses conséquences multiples s’agissant de la liquidité. Et aussi pour les chercheurs, qui ont analysé les racines de la crise et ses conséquences.

Le neuvième cahier Louis Bachelier, publié à l’occasion du sixième Financial Risks International Forum, rassemble quatre articles témoignant des nombreuses directions de la recherche sur le sujet. Il est vrai que le concept de liquidité est complexe, et recouvre plusieurs dimensions, comme le souligne Marie Brière, présidente du comité d’organisation du Financial Risks International Forum. On peut parler de liquidité plus ou moins grande à propos de l’environnement monétaire général, des conditions de financement des entreprises ou des banques ou enfin de la possibilité d’exécuter plus ou moins facilement un ordre d’achat ou de vente sur un marché. Ces trois dimensions sont en fait liées.

 

L’article de Serge Darolles, Jérémy Dudek et Gaëlle Le Foll (« Liquidity Contagion : The Emerging Sovereign Debt Market example ») met en exergue le lien entre les phénomènes de contagion, en cas de crise, entre marchés émergents, provoquant une perte de liquidité générale, qui empêche la vente de titres sur ces marchés, tout en poussant les investisseurs occidentaux à se retirer des fonds d’investissement spécialisés dans les émergents. Ces fonds sont, du coup, à court de liquidité et peuvent se trouver dans des situations intenables.

René Garcia, lui, dans son article (« Bond Liquidity Premia ») montre un autre lien, inconnu, entre niveau de liquidité bancaire (qui dépend de la confiance que se font les banques entre elles) et prix des valeurs à rendement fixe. Là aussi, le contexte macro-économique (le fonctionnement du marché monétaire) rejoint la question plus micro-économique du marché des bons du Trésor, mais aussi des obligations corporate (émises par les entreprises).

 

On ne saurait bien sûr traiter de la liquidité sans évoquer celle des marchés boursiers. Dans les pays industriels, s’agissant de l’achat ou de la vente de quelques actions, la question ne se pose pas. L’exécution de l’ordre est assurée. En revanche, dès lors que c’est un bloc important de titres qui est en jeu, la liquidité est loin d’être certaine. La vente des actions a alors un coût, comme le démontre l’article d’Olivier Guéant (« Optimal Execution and Block Trade Pricing: a General Framework »), qui varie selon la stratégie adoptée.

Ces recherches, à l’assise théorique solide, ne sont pas dénuées d’applications pratiques. Ainsi, l’article de Serge Darolles peut contribuer à aider les gestionnaires de fonds à mieux déterminer le niveau adéquat de liquidité qui leur est nécessaire, pour faire face aux cas de crise. Tout comme les travaux d’Olivier Guéant permettent d’établir une valeur plus précise des portefeuilles boursiers, car tenant compte des coûts éventuels de cession de titres à la liquidité aléatoire.

 

Crise de liquidité et contagion entre marchés : l’exemple de la dette souveraine des émergents

D’après un entretien avec Serge Darolles et l’article de Serge Darolles, Jérémy Dudek et Gaëlle Le Fol : « Liquidity Contagion : The Emerging Sovereign Debt Market example »

Les marchés financiers sont bien sûr de plus en plus interconnectés, mais cette interdépendance, incontournable,  doit être distinguée des phénomènes de contagion beaucoup plus violents, qui surgissent en période de crise. Analysant le cas du marché de la dette souveraine des pays émergents, les auteurs distinguent les contagions dues à des causes structurelles, et celles provenant des flux entre marchés, liées à des crises de liquidité. Ils montrent que la crise de 2007-2008 sur les marchés de la dette des pays émergents correspond à ce deuxième cas. Et ils développent une approche permettant aux asset managers, confrontés au risque de liquidité, d’anticiper ces crises.

 

Comment, pour un gestionnaire de fonds, assurer une liquidité constante à ses clients-investisseurs, tout en plaçant leur argent dans des actifs dont la liquidité n’est pas toujours assurée ? Telle est la problématique très concrète de l’article de Serge Darolles, Jérémy Dudek et Gaëlle Le Fol, qui s’applique au cas de l’investissement dans des titres de dette souveraine émis par les Etats des pays émergents.

 

La contagion annule le bénéfice de la diversification

Ces titres attirent de plus en plus les investisseurs, car ils sont considérés comme relativement peu risqués, et assurent un rendement élevé. D’où le succès, depuis 2010, de fonds investis dans les émergents. Afin de diversifier les risques, ceux-ci ont bien sûr joué sur plusieurs marchés, certains cherchant à répliquer des indices tel que le JP Morgan BGI-EM Index. Mais sur ces marchés qui n’ont pas atteint une grande maturité, le risque de liquidité, de ne pas pouvoir céder ses titres, existe encore, et des phénomènes de contagion se produisent, qui font plonger l’ensemble des places en même temps. Un phénomène de re-corrélation, selon les termes des économistes. Un phénomène qui constitue la grande crainte des gestionnaires de ces fonds, qui voient alors disparaître tout le bénéfice de leur politique de diversification.

 

Deux types de contagion

Les auteurs analysent d’abord l’origine de ces phénomènes de contagion. Les causes peuvent être d’ordre structurel. Exemple: d’une mauvaise nouvelle concernant un industriel de l’automobile comme Renault, le marché tire une information qui vaut probablement tout aussi bien pour PSA. D’où un effet de contagion, la baisse du premier titre entraînant celle du second. Il s’agit là d’une re-corrélation structurelle, lié à l’analyse du rendement à venir de ces titres.

En revanche, quand le marché coréen chute brutalement, et que la bourse brésilienne suit immédiatement le mouvement, on ne peut voir là un phénomène d’ordre structurel. Cette contagion s’explique alors par des flux financiers, liés à une crise de liquidité. Les investisseurs, essuyant des pertes sur un marché, et voyant la liquidité de celui-ci se réduire rapidement, en raison d’un manque de profondeur, vont tenter de retrouver du cash en vendant des titres sur les autres marchés. Entraînant la baisse de ceux-ci…et le risque de ne pas pouvoir, là aussi, en sortir.

 

Le risque d’un cercle vicieux

En outre, les gestionnaires de fonds spécialisés dans les émergents font face, dans un tel contexte, à l’inquiétude de leurs clients, qui demandent le rachat de leurs parts. Peut s’enclencher alors un véritable cercle vicieux: la fuite des clients accentue les pertes du fonds, qui est confronté à un problème de liquidité croissant, lequel inquiète les investisseurs restants…. C’est ainsi qu’à l’automne 2008, les performances de deux fonds ayant pour but de répliquer l’indice JP Morgan BGI-EM ont fortement divergé : le premier, celui de Pictet, qui n’a subi qu’une perte limitée des actifs sous gestion (10%), liée à des retraits, a pu suivre l’indice, tandis que celui de Julius Baer, confronté à des sorties plus importantes (30% des actifs) affichait des performances inférieures.

Savoir que la liquidité est en cause

Les auteurs insistent donc sur la gravité des phénomènes de contagion et leurs conséquences quand ils proviennent d’un problème de liquidité. D’où l’importance pour un asset manager que l’origine de la contagion indiffère a priori, de savoir que la liquidité est en cause.

C’est ainsi que l’analyse de la période 2007-2008 sur les marchés émergents montre que la  contagion alors perceptible entre les marchés de dette souveraine des émergents a eu pour origine non pas des facteurs structurels mais bel et bien une crise de liquidité.

Tout l’intérêt de l’approche développée par les auteurs est de pouvoir aider les asset managers à anticiper ces phénomènes, en détectant les événements en amont. Selon ce modèle, la liquidité sur les marchés émergents est mesurée par la « base » du CDS correspondant aux différentes dettes souveraines, à savoir l’écart entre la prime du CDS et le spread associé à l’obligation sous jacente. Quand cette « base » augmente, c’est que la liquidité devient problématique.

Ce que les auteurs cherchent donc, in fine, à offrir aux gestionnaires, c’est un outil de gestion de leur liquidité : en cas de crise, il faut augmenter le niveau de cash à l’actif du fonds, pour faire face, notamment, à d’éventuels retraits, et le réduire, bien sûr, dès que la situation s’améliore.

Méthodologie


Dans une première étape, les auteurs partent d’une relation d’arbitrage pour extraire une mesure de la liquidité des marchés de la dette souveraine. Cette mesure a comme principale caractéristique de reposer uniquement sur des données de prix. Elle est donc utilisable même lorsque les flux d’investissement vers ces marchés ne sont pas observés. Puis dans une deuxième étape, ils proposent une mesure du niveau de contagion de liquidité entre les différents marchés, obtenue via l’estimation d’un modèle à changement de régimes. Ce modèle permet de suivre l’évolution dynamique des matrices de corrélation entre les mesures de liquidité par marché. La nouvelle mesure permet ainsi de détecter les périodes de re-corrélation entre les mesures de liquidité calculées sur les différents marchés. En appliquant conjointement cette approche aux prix et aux mesures de liquidité, il est alors possible de lier les phénomènes de contagion en prix à des problématiques de contagion de liquidité.

 

Recommandations


Les recommandations aux asset managers peuvent être les suivantes :

  • Assurer un monitoring conjoint des risques  de liquidité sur différents marchés.
  • Faire évoluer en conséquence le niveau de liquidité du fonds, en augmentant le niveau de cash en cas de crise

 

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Liquidity Contagion : The Emerging Sovereign Debt Markets example .pdf 

De l’influence de la liquidité sur le prix des obligations

D’après un entretien avec René Garcia et l’article de Jean-Sébastien Fontaine et René Garcia « Bond Liquidity Premia ».

La valeur des titres à revenus fixes – bons du Trésor, obligations gouvernementales et de sociétés, swaps et autres contrats à terme – n’a, a priori, pas de lien avec les conditions de financement à court terme des banques. Ce sont des marchés déconnectés. L’article de Jean-Sébastien Fontaine et René Garcia démontre à quel point cette idée reçue est fausse. Il prouve au contraire qu’un resserrement de la liquidité pour les intervenants financiers creuse les écarts de rendement entre valeurs à revenus fixes. Les plus liquides, comme les bons du Trésor, sont alors très demandés, et voient leur prime de risque chuter. A l’inverse, les actifs moins liquides subissent une baisse de leur prix, accentuée par un phénomène de flight to quality.

 

Les traders sur le marché obligataire le savent, la liquidité plus ou moins grande d’une obligation affecte son prix. Ils en veulent pour preuve l’existence d’une « on the run premium », à savoir d’une prime (autrement dit une majoration de prix) attachée aux titres qui viennent d’être émis, en regard d’obligations de mêmes coupons et maturités mises précédemment sur le marché. Cette prime est liée à la liquidité plus élevée des titres les plus récents, car ils ne sont pas encore « bloqués » dans des portefeuilles d’investisseurs institutionnels.

Partant de ce constat, l’article de Jean-Sébastien Fontaine et René Garcia va bien au-delà. Il établit une véritable théorie de l’impact des conditions de financement à court terme – pour l’ensemble des intervenants financiers – sur le rendement des titres à revenus fixes. Qu’il s’agisse des swaps de court terme ou des obligations à dix ans.

 

Se refinancer à de meilleures conditions

Plus précisément, ce que les auteurs appellent la valeur de la liquidité de financement, autrement dit le prix de la liquidité pour une banque ou un autre intervenant financier (mesuré par le taux d’intérêt), va jouer sur le cours et donc sur le rendement des obligations et autres titres assurant un revenu fixé à l’avance.

Quel est le mécanisme ? Il est lié à l’exemple du « on the run premium ». Pour se refinancer auprès d’une banque centrale ou sur le marché interbancaire, les banques doivent déposer un titre en garantie. Ce titre sera d’autant plus facilement accepté que son marché est particulièrement liquide : si c’est le cas, le refinancement aura lieu dans de meilleures conditions, la banque en manque de fonds obtiendra des taux d’intérêt plus faibles que si elle déposait un titre moins facilement cédable. Cette forte liquidité de certains titres contribue donc à leur valeur, dans la mesure où ils permettent d’obtenir des taux d’intérêt plus faibles. Pouvoir céder facilement un titre contre du cash est d’autant plus apprécié que les conditions de financement se tendent, que la liquidité est moins abondante. C’est dans ce contexte de marché que les écarts de prix, et donc de rendement, se creusent entre les différentes valeurs à revenus fixes, selon qu’elles sont plus ou moins liquides.

 

Des bons du Trésor très liquides

Parmi les titres très liquides, il y a en premier lieu les bons du Trésor. Ils peuvent être quasiment assimilés à de la liquidité, tant leur marché est large. Logiquement, ils vont être d’autant plus recherchés que les conditions de financement se tendent, que la liquidité se fait rare, puisqu’ils peuvent être échangés très facilement contre celle-ci. Dans ces situations de tension sur le financement des banques, le prix de ces emprunts d’Etat, très demandés, va donc augmenter. Par conséquent, s’agissant de titres à revenus fixes, leur rentabilité (la prime de risque qui leur est associée) sera en diminution.

Evolutions divergentes pour les emprunts corporate

Quant aux emprunts corporate (émis par les entreprises), ils évolueront différemment selon qu’ils sont bien ou mal notés par les agences de notation. S’ils relèvent du AAA, AA ou A, leur rendement suivra celui des emprunts d’Etat (il baissera en cas de crise, selon le mécanisme décrit ci-dessus, s’agissant des bons du Trésor). En revanche, tous les titres moins bien notés verront au contraire leur prime de risque augmenter, en cas de choc sur la liquidité. Autrement dit, leur prix baissera et leur rendement augmentera. C’est surtout le facteur « flight to quality » qui joue, lorsque les conditions de financement deviennent plus difficiles. Quant aux taux d’intérêt sur les prêts entre banques (LIBOR), ils sont aussi orientés à la hausse en cas de tension dans les conditions de financement. Cela peut paraître curieux, s’agissant de prêts à court terme (trois mois, en l’occurrence), donc peu éloignés de la liquidité. Mais cela tient à la comparaison avec les bons du Trésor : si, après avoir prêté à une concurrente pour trois mois, une banque veut retrouver rapidement du cash, elle doit conclure un nouveau contrat avec une autre banque, auprès de laquelle elle empruntera les sommes nécessaires. La recherche de cette contrepartie n’est pas sans coûts, alors qu’un bon du Trésor peut être cédé immédiatement contre de la liquidité, sans coût additionnel. Voilà pourquoi le rendement d’un prêt LIBOR trois mois est supérieur à celui d’un bon du Trésor à trois mois, dès lors que la liquidité vient à manquer. Il en va de même pour les contrats swap.

 
Méthodologie

La crise a montré que les problèmes de financement des marchés et une réduction de la liquidité peuvent amplifier l’effet des chocs financiers. Les auteurs identifient et mesurent la valeur de la liquidité de financement à partir d’un échantillon de bons du Trésor et d’obligations du gouvernement américain. Ils ajoutent une composante “conditions de financement” à un modèle de structure des taux sans arbitrage. Ils en déduisent des écarts de rendements entre valeurs à taux fixes. Ils extraient alors le facteur liquidité du rendement des titres, en utilisant un modèle “espace-état”, et au moyen d’un filtre de Kalman qui prend en compte une fonction non linéaire du prix des obligations. Une régression mathématique montre qu’une augmentation de la valeur de la liquidité de financement impacte la croissance des actifs au sein du shadow banking, provoque une baisse des primes de risque sur les obligations d’Etat et au contraire une hausse pour les prêts de type LIBOR, les contrats swap et les obligations corporate.

 
Recommandations 

  • Une mesure correcte de la prime de risque liée à la plus ou moins grande abondance de liquidité est d’une aide précieuse pour les traders. Elle leur permet de réaliser des arbitrages en prenant en compte le rendement des obligations, la volatilité des titres, et la liquidité du marché.
  • Les intermédiaires financiers tels que les hedge funds, qui jouent sur l’effet de levier, ont tout interêt à suivre de près la notion de liquidité de financement pour affiner leurs strategies
  • Cette analyse peut être exploitée par les gestionnaires de risque, mais elle est tout aussi importante pour les banques centrales et la conduite de la politique économique.
 
 
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A la recherche d’un optimum de prêt interbancaire

D’après un entretien avec Raphaël Douady et l’article de Stéphane Crépey et Raphaël Douady, « The Whys of the LOIS : Credit Skew and Funding Spread Volatility » (à paraître dans Risk Magazine).

La crise des subprimes, en août 2007, a provoqué une véritable rupture dans l’économie des prêts entre interbancaires. Alors que les taux d’intérêt à trois mois entre banques étaient, jusqu’à cette date, identiques aux taux des contrats swap au jour le jour d’une durée équivalente, un écart s’est creusé depuis, reflétant le manque de confiance entre établissements de crédit. L’article de Stéphane Crépey et Raphaël Douady analyse cet écart, qui tient au risque que présente l’emprunteur, mais aussi à la volatilité des conditions de refinancement de la banque prêteuse. Le modèle qu’ils présentent permet de déterminer pour celle-ci l’optimum de prêt (montant, taux d’intérêt) sur plusieurs mois, en regard des prêts au jour le jour. 

 

L’article de Stéphane Crépey et Raphaël Douady a pour point de départ un constat établi dès le début de la crise de liquidité déclenchée en août 2007, celui d’une divergence durable de taux (qui persiste depuis) entre le Libor (London InterBank Offered Rate, le taux d’intérêt à court terme que pratiquent les banques entre elles) et des contrats swap au jour le jour de même maturité. La théorie, vérifiée aussi jusqu’en juillet 2007 pour les instruments équivalents utilisés dans la zone euro, voudrait qu’il n’y ait pas d’écart de taux entre un prêt à trois mois au taux Libor (Euribor trois mois en zone euro) et un contrat de type Overnight indexed swap (OIS, ou Eonia 3 mois-forward en zone euro). Le premier correspond à un prêt à trois mois, le second à un prêt overnight (au jour le jour) reconduit quotidiennement pendant trois mois. Les auteurs analysent cet écart entre le Libor et l’OIS, appelé LOIS par les opérateurs du marché londonien. Une différence due au manque de confiance des banques entre elles depuis août 2007.

 

Un spread, addition de deux facteurs

Les premières recherches ont expliqué ce spread par la combinaison de deux facteurs : le risque de crédit et la liquidité. Avec la crise, le risque est apparu de prêter à un établissement bancaire susceptible d’être défaillant. Dès lors, il est devenu une composante essentielle du prix auquel une banque accepte de prêter à une autre. De ce point de vue, prêter sur trois mois ou au jour le jour (Eonia) n’est pas indifférent. Dans le premier cas, la banque s’engage sur une durée fixe, non négligeable en cas de crise. Si l’établissement emprunteur est défaillant dans ce laps de temps, la banque « prêteuse » est sans recours. A l’inverse, dans le cas d’un prêt overnight, avec un scénario de dégradation des conditions de crédit, soit pour elle-même, soit pour sa contrepartie, la banque accordant le prêt peut demander son remboursement et ne pas le renouveler.

 

L’impact de la liquidité sur l’écart de taux

Ce risque de crédit a donc été mis en évidence dès 2010. En revanche, la composante liquidité, deuxième facteur explicatif, a plutôt été présentée comme un résidu statistique, qui n’a pas fait l’objet de tentative de modélisation théorique en permettant la mesure sur des bases solides. L’apport majeur de l’article est de présenter un modèle permettant d’évaluer l’impact spécifique du facteur liquidité sur le LOIS.

La volatilité pour les banques de leur coût de refinancement et des montants à refinancer est cruciale, à cet égard. Quand celles-ci accordent un prêt, elles se trouvent dans une situation d’incertitude sur leurs besoins de liquidité à venir et prennent, de ce fait, un risque sur le coût de ces besoins en liquidités. Le taux d’intérêt que doivent payer les banques pour refinancer un prêt est soumis à une forte volatilité et dépend de plusieurs paramètres, notamment de conditions d’emprunt et du niveau de leur dette à court terme. Au moindre signe d’alerte, ce taux va grimper, chaque banque étant scrutée de près par ses concurrentes. Alors qu’à l’actif, la banque aura bloqué des fonds en prêtant sur trois mois, au passif, le coût de sa dette peut grimper sensiblement. Et ce dans des proportions impossibles à prévoir, et fluctuant quotidiennement. En roulant un prêt au jour le jour, une banque peut donc mieux contrôler ses besoins en liquidités et éviter de se retrouver en situation de squeeze, contrainte d’emprunter à des taux exorbitants. Voilà pourquoi les établissements imposent un prix supplémentaire à un prêt sur trois mois, par rapport au jour le jour.

 

Un coût final de la liquidité incertain

Ce que les auteurs ont modélisé, c’est cette volatilité des conditions de refinancement, qui rend le coût final de la liquidité très incertain. Objectif : déterminer à quel taux, compte tenu de cette incertitude, il peut être intéressant pour une banque de prêter sur plusieurs mois, en regard d’un prêt au jour le jour. Il s’agit de définir, in fine, un optimum de montant de prêt pour chaque banque, compte tenu de ses conditions de marché, et un taux de prêt à trois mois permettant d’obtenir une rentabilité équivalente à celle d’un contrat overnight.

Le modèle fait donc apparaître que le LOIS dépend de deux composantes : l’une tient au risque crédit, au sens de la pente de taux du Credit default swap (CDS), d’un emprunteur Libor représentatif ; l’autre correspond au risque de liquidité et tient à la volatilité des conditions de refinancement de la banque prêteuse. Cette deuxième composante correspond à l’option qu’a la banque prêteuse de ne pas renouveler le prêt s’il s’avère que celui-ci n’est pas rentable. Le prix de cette option est proportionnel à la racine carrée de la durée du prêt, et dépend de la volatilité du spread du CDS de la banque qui consent le prêt.

 

Méthodologie


Les auteurs proposent un modèle stylisé d’équilibre général, dans lequel l’établissement prêteur compare deux possibilités : prêter sur une durée fixe – par exemple 3 mois – et rouler, sur la même durée, un prêt au jour le jour, en se réservant la possibilité d’ajuster, en fonction des conditions de marché et des besoins en liquidités, le montant prêté. L’équilibre est atteint lorsque le profit optimal pour la banque est équivalent dans les deux cas de figure. Les observations empiriques font apparaître une structure par terme du LOIS en racine carrée de la maturité, qui confirme l’analyse théorique, sur la base du marché interbancaire de la zone euro, sur la période mi 2007 – mi 2012. Ainsi le LOIS 3 mois s’explique à la fois par le facteur risque de crédit et la composante liquidité jusqu’au début de 2009, et surtout par la liquidité depuis.

 

Recommandations


  • Le modèle d’équilibre proposé permet à une banque de réaliser un arbitrage sur la base du LOIS, en optant pour un prêt à terme de type Libor ou un prêt au jour le jour, assorti ou non d’un swap OIS.
  • Une autre application possible concerne la calibration ou l’estimation de la volatilité du spread de funding (modèle stochastique), dans le contexte de modèles de taux multicourbes et/ou dans des calculs de CVA (credit value adjustment).

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The Whys of the LOIS, Credit Risk and Refinancing Rate Volatility.pdf

Combien coûte la vente d’un « bloc » d’actions ?

  D'après un entretien avec Olivier Guéant sur ses articles "Optimal execution and block trade pricing: a general framework” et “Execution and block trade pricing with optimal constant rate of participation”

Vendre une action, voilà une opération simple qui ne soulève, a priori, aucun problème pratique ou théorique. Mais, dès lors que la cession porte sur un     bloc de titres de taille importante, la question de la liquidité est posée. L’arbitrage s’impose entre une vente rapide, qui peut impacter le marché et        s’avérer coûteuse, et une cession dans la durée, avec le risque associé de voir le prix du titre baisser. Les deux articles d’Olivier Guéant visent à évaluer le    coût global d’exécution, selon le mode choisi par le vendeur.

 

Quoi de plus simple que le passage d’un ordre action ? Pour le praticien, qu’il s’agisse d’une banque d’investissement ou d’un gérant d’actifs, il s’agit là en effet de l’un des actes les plus communs. Du point de vue académique, les modèles de mathématiques financières considèrent le passage d’un ordre action comme un acte de base, le plus souvent gratuit. Pourtant, une importante littérature académique s’est développée qui traite de la question de l’exécution optimale des ordres de grande taille. La question sous-jacente est celle de la liquidité: un intervenant voulant vendre un bloc d’actions d’un montant important, susceptible de faire décaler sensiblement la valeur d’un titre, est confronté à des coûts élevés, ou pire, se verra sans l’impossibilité de céder toutes ses actions faute de la liquidité suffisante, si l’exécution de l’ordre est urgente. Cette question de la liquidité et de la manière optimale d’exécuter les ordres, en multipliant les ordres de vente de plus petite taille et en les exécutant progressivement, est d’autant plus pertinente aujourd’hui que la liquidité s’est fragmentée entre plusieurs plateformes de négociation et que la taille moyenne des transactions a diminué.

 

Plusieurs modes d’exécution d’un ordre

Pour la plupart des intervenants, l’exécution d’un ordre de vente d’actions passe par un intermédiaire qui peut proposer plusieurs modes d’exécution : participation constante au marché (ordre POV), exécution la plus proche possible du prix initial (ordre « arrival » ou  Implementation Shortfall – IS), exécution la plus proche possible du prix moyen sur une période (ordre VWAP), exécution la plus proche possible du prix de clôture (ordre target close).

L’arbitrage entre coût d’exécution et risque de perte en capital

S’agissant des ordres IS, l’arbitrage auquel est confronté le vendeur peut se résumer ainsi : soit il décide de céder rapidement les titres, et, dans ce cas, les coûts d’exécution et l’impact sur le marché risquent d’être élevés, soit il fait le choix de prendre le temps nécessaire, pour contourner la question de la liquidité, mais il peut alors se heurter à un autre écueil : celui de voir le prix des titres à vendre fluctuer (à la baisse) et, du coup, de les céder dans de moins bonnes conditions que prévu. C’est d’ailleurs à cette problématique de l’optimal scheduling des ordres que la plupart des travaux de recherche sur l’exécution optimale se sont attaqués, plutôt qu’à la seconde question pertinente, celle du coût global de l’exécution. Ce dernier correspond à l’écart entre le prix choisi et celui réellement obtenu. Auquel il faut aussi ajouter le coût implicite lié au risque de prix dans le processus de vente.

Le prix marked to market non pertinent

Les deux articles d’Olivier Guéant “Execution and block trade pricing with optimal constant rate of participation” et “Optimal execution and block trade pricing: a general framework” traitent de ces deux questions, respectivement, pour les ordres POV et IS. Dans le cas des ordres POV, où la participation au marché est constante, une formule permet de déterminer quel est le pourcentage optimal de participation au marché.

Olivier Guéant souligne que le prix marked-to-market (en d’autres termes, le cours de Bourse) n’est pas pertinent pour évaluer un bloc d’actions de taille importante : la liquidité, par essence limitée, fait baisser, logiquement, son prix. Une prime de risque doit aussi être retranchée. Il évalue ces deux facteurs affectant le prix réel qui pourra être retiré de la vente : ils dépendent de la quantité d’actions à céder, de la liquidité du marché, de la volatilité et du niveau de risque souhaité. Pour les ordres IS, sans contrainte de participation constante au marché, l’auteur parvient à définir une courbe de trading optimale (autrement dit, le rythme idéal de cession des titres dans un laps de temps déterminé).

Aussi, le prix réel retiré de la cession d’un bloc de titres peut-il être défini : il correspond au cours de Bourse, corrigé d’une prime de liquidité et de risque, obtenu lorsque la durée de l’exécution de l’ordre est libre. De manière surprenante, l’auteur parvient à la conclusion que la vente d’un bloc sans contrainte de participation au marché ne réduit pas de plus de 15 % la prime de liquidité et de risque, par rapport à un mode de vente POV, avec participation constante au marché.

Cette analyse, de par son approche innovante, ouvre la voie à de nombreuses applications : prise en compte des coûts d’exécution et pénalisation de l’illiquidité dans les choix de portefeuille, détermination du haircut à appliquer à un collatéral, évaluation plus précise de la valeur d’un portefeuille, car corrigée de la liquidité (et du risque lié à la liquidation) …

Méthodologie


Olivier Guéant généralise le modèle d’Almgren et Chriss en l’introduisant dans un cadre mathématique rigoureux. Dans le cas des ordres POV, la littérature était muette alors même que de nombreuses institutions y ont recours. Dans le cas des ordres IS, la caractérisation hamiltonienne obtenue rend le modèle calculable par des méthodes numériques simples extensibles à des portefeuilles plus complexes. Concernant le pricing de la liquidité et du risque de mouvement du prix au cours de l’exécution, l’approche utilisée est celle du pricing par indifférence (indifference pricing). La nouveauté méthodologique est de faire reposer des primes de liquidité, c’est-à-dire des indicateurs à usage macro, sur des paramètres liés à la microstructure de marché (impact de marché, coût d’exécution, volatilité intraday). Ce passage du micro au macro a nécessité l’emploi d’outils mathématiques complexes comme les solutions de viscosités des équations de Hamilton-Jacobi.

Recommandations


  • L’évaluation d’un portefeuille ne doit pas se faire à la valeur MtM (valeur de Bourse) mais tenir compte des coûts liés à la liquidité et à la volatilité. Des formules fermées permettent cette évaluation.
  • Ces formules peuvent servir à mieux estimer les portefeuilles illiquides et à les pénaliser.
  • Elles permettent aussi de calculer le haircut minimal à exiger dans le cadre d’un deal avec utilisation d’un collatéral.
  • Les courbes de trading fondées sur le cadre Almgren-Chriss doivent être calculées en utilisant des méthodes numériques de type Newton sur un système hamiltonien.

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