L’estimation des choix intertemporels des agents est une préoccupation majeure en économie comme en philosophie. Elle permet de comprendre comment les agents envisagent le futur et orientent leurs décisions, notamment d’investissement et d’épargne. Le problème central pour les économistes est de déterminer si la préférence temporelle s’appuie sur un système de préférences stable au cours du temps ou rationnel.

Le postulat généralement admis est celui d’une préférence pour le présent. Jean de la Fontaine l’exprimait par la maxime “Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras”. Loin d’être un concept fourre-tout, la préférence pour le présent permet de comparer des satisfactions (ou utilités) à différentes
dates de la vie. Or, nombre d’économistes considèrent que la préférence pour le présent est une erreur, témoignant d’une faible capacité à se projeter dans l’avenir. Ils s’appuient sur une certaine conception philosophique du “moi”, invariant au cours de l’existence.

La revue de la littérature existante montre un intérêt croissant pour le sujet de la stabilité des préférences. Un modèle intéressant est celui de l’agent impatient, proposé par Strotz (1956). L’individu privilégie fortement le présent par rapport au futur proche, mais il se comporte à plus long terme de façon raisonnable.

Dans ce nouveau numéro de la collection Opinion et & Débats, Luc Arrondel (CNRS et Ecole d’économie de Paris) et André Masson (CNRS, EHESS et Ecole d’économie de Paris), proposent une conception existentielle de la préférence temporelle. L’horizon décisionnel revêt un caractère subjectif et dynamique, selon un environnement incertain et une trajectoire individuelle. Pour cela, les deux économistes s’appuient notamment sur la pandémie de Covid-19 dont les études montrent qu’elle n’a pas sensiblement modifié les préférences des individus. Leur analyse empirique s’appuie sur l’enquête patrimoniale PATER, effectuée en 5 vaques entre 2007 et 2020. Les réponses fournies ont permis aux auteurs de construire des scores individuels de préférence. Ils concluent ainsi à la stabilité de la préférence temporelle au cours du temps.

À partir de ces résultats, Luc Arrondel et André Masson fournissent un certain nombre de recommandations en matière de gestion financière et d’épargne. D’une part, ces considérations plaident pour une gestion souple de l’épargne, adaptée à chaque individualité. D’autre part, les économistes défendent la mutualisation obligatoire de la dépendance lourde. Il leur semble inconcevable que les épargnants s’assurent par eux-mêmes contre un “moi” très diminué, que chacun espère éviter.

Bonne lecture !

Jean-Michel Beacco
Délégué général de l’Institut Louis Bachelier