Une nouvelle édition des Conversations A/venir a été organisée par l’Institut Louis Bachelier, en partenariat avec la Fondation BNP Paribas, le 13 mars, au Collège de France. 

Au cours de cet évènement, Christian Monjou agrégé de l’Université et ancien enseignant chercheur à Oxford, est intervenu sur la question de l’Europe dans la tourmente des extrêmes. Au travers de cette conférence il s’agit, selon Jean Michel Beacco, directeur général de l’Institut Louis Bachelier, « d’entendre ce que l’on n’entend pas souvent ».

 

Des élections décisives

L’introduction a été donnée par Antoine Sire, directeur de l’engagement d’entreprise chez BNP Paribas : « Les élections européennes du 9 juin 2023 sont considérées comme décisives pour l’avenir de l’Union européenne. Les partis eurosceptiques et d’extrême droite pourraient remporter un nombre important de députés, en particulier en France où le Rassemblement national est donné en tête dans les sondages. L’Europe est pourtant plus importante que jamais, dans le contexte de la guerre en Ukraine débutée en février 2022. Le groupe BNP Paribas a ainsi décidé de maintenir ouvert ses 250 agences en Ukraine grâce à une forte mobilisation de son réseau européen, avec un hub d’urgence à Varsovie ».

Face à ce constat, le professeur Monjou préfère prendre du recul pour montrer, grâce à des exemples historiques, comment le passé de l’Europe peut éclairer son avenir. Au travers d’œuvres d’art, il propose quatre moments clés où la circulation des idées et des techniques ont permis de bâtir la civilisation européenne.

« Bruges la vive »

Tout en rendant hommage au roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, Christian Monjou est revenu sur les liens entre les Flandres et la Toscane durant la Renaissance. Les deux régions sont les plus puissantes d’Europe à cette période. Le voyage commence au palais du Hof Bladelin à Bruges, construit par Pieter Bladelin, conseiller du duc de Bourgogne Philippe le Bon (1396-1467). Le palais est acquis par la famille florentine des Médicis en 1472, pour en faire une succursale de leur banque. Ainsi, un médaillon représentant Laurent de Médicis (1449-1492) trône encore dans la cour du Hof. Le gérant de la banque, Tommaso Partinari, amateur d’art, commande un triptyque au peintre flamand Hugo van der Goes en 1475, l’Adoration des Bergers, pour une église florentine. Le tableau arrive à Florence en 1483. Il est l’une des premières peintures à l’huile présentée en Italie, où les peintres ont encore recours à la technique de la tempera. Selon Christian Monjou, ce tableau est d’une importance considérable pour la Renaissance italienne, en popularisant le procédé qui fera la renommée de la peinture italienne. Le triptyque Portinari est encore conservé à la galerie des Offices à Florence.

Chemins du Nord

Dans un deuxième temps, Christian Monjou s’est intéressé aux à la Hollande du XVIIe siècle. Le tableau le syndic de la guilde des drapiers, peint par Rembrandt en 1662, brosse le portrait de cinq gentilshommes chargés de l’inspection des étoffes. Les vêtements neutres et identiques, le regard tourné vers le spectateur, les membres de la guilde sont le symbole de la collégialité pouvoir au sein de la République des Provinces-Unies.  Ces dernières représentent alors un modèle de paix et de tolérance et Descartes s’y installe dès 1618. La Ruelle, tableau de Vermeer de 1658, représente le calme qui règne à Delft, avec deux enfants qui jouent sur le trottoir.

Grand tour européen

Le troisième mouvement qui a été décrit par le professeur Monjou est le « Grand Tour », le voyage initiatique des jeunes aristocrates européens du XVIIIe siècle. La Tribune des offices, tableau de 1772, représente des visiteurs admirant les œuvres du palais des offices, lieu d’exposition des Médicis. Le tableau est commandé par la reine du Royaume-Uni Charlotte (1744-1818), d’origine allemande, au peintre allemand Johann Zoffany.

La tourmente des extrêmes

Enfin, le professeur est revenu sur le parcours de l’artiste allemand Herwarth Walden (1878-1941), Il fonde avec son épouse Nelly Roslund la revue Der Sturm. La revue soutient la circulation des artistes, notamment entre la France et l’Allemagne. En 1932 il quitte l’Allemagne Nazie pour l’URSS, à la recherche de plus de libertés. Toutefois, son approche artistique lui vaut d’être arrêté et déporté en camp à Saratov, où il meurt en 1941 d’une crise cardiaque, ce qui résonne tristement avec l’actualité.

Transition climatique et taille critique

Après son intervention, de Christian Monjou a rejoint, une table ronde qui a réuni Chloé Morin, essayiste et spécialiste de l’analyse de l’opinion et Laurent David, directeur général adjoint de BNP Paribas. Animée par Guillaume Ledit, responsable éditorial de l’ADN studio, l’échange a porté plus spécifiquement sur la montée des populismes et sur les défis de demain pour l’Union européenne. Jusqu’à aujourd’hui, Chloé Morin constate que les responsables politiques ont eu plutôt intérêt à rejeter sur l’Europe ce qui était considéré comme un échec. En ajoutant à cela la déception des citoyens pour la politique, elle en conclue à un désenchantement démocratique. Néanmoins, la question climatique représente pour l’Union une thématique cruciale pour se renforcer. Elle représente en effet l’échelon d’action pertinent.

Laurent David est revenu sur le faible nombre d’entreprises européennes leaders mondiales dans leur domaine. Il regrette la domination des entreprises américaines, face à la fragmentation du marché européen, notamment dans le secteur de la banque d’investissement. Selon Laurent David, le marché européen n’a pas encore atteint la taille critique permettant de faire émerger suffisamment de multinationales championnes. L’union des capitaux apparaît ainsi comme un objectif prioritaire pour l’Union européenne.

Enfin Christian Monjou a conclu que l’absence de parole politique forte empêche de bâtir une Union plus forte et unie. Il suggère donc de créer un espace public, grâce à des listes transnationales aux élections européennes Néanmoins, cette recommandation ne sera pas réalisable dans l’immédiat, ce qui rend d’autant plus important le prochain scrutin européen qui se déroulera du 6 au 9 juin prochain…