Alors que la fiscalité relative à l’immobilier va encore évoluer dès le 1er janvier 2014, il est de plus en plus complexe pour les ménages de juger le marché du logement selon des critères justes et objectifs. Une défaillance qui mène à des aberrations sur le marché et qui se répercute bien au-delà du simple secteur immobilier.

 

L’immobilier représente le premier poste de dépense des français, loin devant l’alimentaire. Un poste largement consacré aux acquisitions, puisque 58 % de la population est propriétaire de son logement. A première vue, il semble donc aisé de dresser un tableau de l’immobilier français.

Pourtant, il n’est est rien, l’étude de ce secteur implique de se confronter à plusieurs difficultés. Ainsi, connaître le nombre de propriétaires n’indique pas si les ménages vivent dans des logements adaptés à leurs besoins ou si la crise a amputé leur pouvoir d’achat immobilier. Des données pourtant essentielles, car elles affectent de larges pans de l’économie : mobilité professionnelle, emploi, consommation…

 

Les modélisations et les études actuellement menées par plusieurs économistes font également apparaître une distorsion entre ce qui est perçu au sujet de l’immobilier et la réalité. Ces écarts de perception ont des effets pervers non négligeables, dont les ménages paient trop souvent le prix. Ainsi, le rendement locatif des biens est surévalué et conduit à encourager l’achat de certains types de logements ou de certaines localisations, aggravant les tensions.

Les politiques gouvernementales de soutien à la demande ont, elles aussi, des conséquences inattendues et souvent néfastes pour les ménages. L’aide imaginée n’est pas captée par son destinataire final ou contribue, une fois encore, à tendre un marché déjà sous pression.

Des interviews menées auprès d’économistes spécialisés dans l’étude de l’immobilier ressort une chose : des réformes doivent être entreprises, suivant des suggestions souvent fort éloignées de celles émises par les pouvoirs publics.

Mesure du pouvoir d’achat immobilier, une approche multicritères

 

Kevin Beaubrun-Diant, Maître de conférences en économie, chercheur au LEDa et Responsable scientifique de la Chaire Ville et Immobilier, à l’Université Paris-Dauphine.

Grâce au baromètre CapAcIm, Kevin Beaubrun-Diant est en mesure d’étudier le pouvoir d’achat immobilier des ménages. Une mesure nécessitant une approche multicritères, qui fait ressortir l’hétérogénéité de la France en matière d’immobilier.

 
 

Le prix au mètre carré est-il un bon indicateur pour juger le marché de l’immobilier et la capacité d’achat des ménages ?

Kevin Beaubrun-Diant : C’est une information intéressante mais insuffisante. Le prix n’est pas le seul déterminant du pouvoir d’achat immobilier d’un ménage. Entrent également en ligne de compte son revenu et les taux d’intérêt s’appliquant à son emprunt. Ce sont les éléments, tous mesurés au niveau individuel, que nous utilisons pour construire notre baromètre CapAcIm (pour Capacité d’Achat Immobilier) sur le pouvoir d’achat des ménages.

Depuis 2008, la crise économique persistante a provoqué une forte hausse du chômage et un accroissement de la précarité sur le marché du travail (contrats précaires, CDD, stages, etc.).

Nous remettons, au centre de l’analyse, le rôle incontournable des revenus du travail et/ou du patrimoine dans la détermination du choix d’acquisition. Cela explique l’intégration explicite du marché du travail dans l’analyse et la prise en compte explicite du taux de chômage.

Le pouvoir d’achat des ménages est-il adapté à leurs besoins immobiliers ?

Kevin Beaubrun-Diant : L’indicateur CapAcIm pose une question ambitieuse : qu’est-ce que les ménages français peuvent acheter ? Et qui sont ces ménages ?   Le CapAcIm mesure le pouvoir d’achat en matière immobilière en  exprimant la part des ménages pouvant acquérir un bien correspondant à leurs besoins (i.e., à leur structure familiale). A titre d’exemple, au second trimestre 2013, la part des ménages pouvant acheter un appartement ancien à Paris est de 34,1%.

Actuellement nous suivons 30 villes en France, 20 en Ile-de-France et 10 en province. Au second trimestre 2013, il en ressort qu’en Ile-de-France, les villes les moins accessibles sont Paris, Neuilly, Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulineaux. En revanche, les plus accessibles sont Evry, Cergy, Bobigny, Argenteuil, Meaux et Massy. En province, la ville la plus chère est Marseille, suivie par Lille, puis Lyon. En revanche, là où le nombre le plus élevé de ménages peut acheter, c’est à Rennes et à Strasbourg, puis Nantes et Nancy.

 

Quelles ont été les répercussions de la crise économique sur le pouvoir d’achat immobilier des français ?

Kevin Beaubrun-Diant : D’une manière générale, la crise n’a pas renversé la situation en matière de capacité d’achat immobilier, pour deux raisons majeures. Premièrement, les taux sur le crédit à l’habitat ont nettement reculé, ce qui a limité les effets du ralentissement économique. Deuxièmement, les incertitudes liées aux revenus et au risque de chômage ont fait baisser la demande de logement, entraînant une diminution du volume de transactions. La stabilisation de la demande permet une stabilisation voire, dans certaines zones, une baisse des prix. Le pouvoir d’achat des ménages a donc bien résisté à la crise.

Quelles sont les répercussions d’une baisse de la capacité d’achat des ménages ?

Kevin Beaubrun-Diant : Quantifier ce pouvoir d’achat est fondamental. En effet, l’immobilier est un actif prépondérant dans le patrimoine des ménages, qui est très peu diversifié. Les fluctuations de cet actif ont des répercussions importantes sur le patrimoine et donc sur les décisions des ménages en matière de consommation. Pour réellement appréhender les évolutions de ce pouvoir d’achat, il est essentiel de tenir compte de la situation géographique et individuelle des ménages, notamment leur âge et leurs revenus.

A qui votre baromètre est-il utile ?

Kevin Beaubrun-Diant : Les résultats trimestriels du baromètre sont publiés sur le site de la chaire Ville et Immobilier (http://chaireville-immobilier.fondation.dauphine.fr/). Il s’agit d’une information publique et gratuite, disponible  pour tout un chacun. Par ailleurs, le baromètre CapAcIm a également vocation à appuyer les conseils aux élus et aux pouvoirs publics locaux. Nous pouvons simuler et évaluer les répercussions sur le pouvoir d’achat d’une politique gouvernementale de soutien à la demande immobilière, nous avons d’ailleurs été les premiers à le faire au sujet du Prêt à Taux Zéro Plus en 2011, en déclinant les effets selon les zones géographiques.

Votre baromètre peut-il aider les ménages eux-mêmes ?

Kevin Beaubrun-Diant : Nous travaillons actuellement au développement d’un outil grand public permettant de réaliser des simulations modulables à partir du CapAcIm. Les ménages indiquent leurs caractéristiques (âge, revenu, ville recherchée,…) et découvrent une cartographie de leur pouvoir d’achat immobilier dans les différentes régions de France.

Calcul du rendement locatif: les erreurs à éviter

 

Stéphane Gregoir, Professeur d’économie à l’EDHEC

Tel qu’il est traditionnellement calculé, le rendement locatif de l’immobilier est surévalué. Un défaut qui nuit à la prise de décision sur le  marché de l’immobilier.

 

Comment mesure-t-on le rendement locatif d’un bien immobilier ?

Stéphane Gregoir : Le rendement représente un flux de revenus, les loyers, par rapport au capital misé, la valeur du bien. Le calcul traditionnel du rendement locatif se base sur un loyer moyen annuel au mètre carré d’un ensemble de logements hétérogènes et un prix moyen du mètre carré à la vente et conduit à des erreurs. Cette méthode ne prend pas en compte l’impact sur le loyer et le prix des caractéristiques uniques de chaque  bien et oublie les risques associés à la location : vacance, impayés, dégradations… Il faut donc construire une approximation du loyer et du prix pour un même logement en réalisant des régressions hédoniques. Cela revient à décomposer ce qui entre dans ces prix : localisation du bien, caractéristiques physiques, année de construction, etc, pour pouvoir calculer ce ratio pour un bien donné, puis en faire la moyenne pour une localisation. Ensuite, il faut calculer de combien les risques liés au bien imputent son rendement. C’est ce que nous faisons à l’EDHEC, en intégrant le risque de vacance des logements, qui varie selon la taille et la nature de ces derniers.

A quoi sert la mesure du rendement locatif ?

Stéphane Gregoir : Le rendement est avant tout utile dans les démarches d’arbitrage, afin de comparer un investissement dans l’immobilier par rapport à d’autres actifs. Le calcul que je viens d’évoquer nécessite de nombreuses données et des modélisations, il n’est absolument pas passé auprès du grand public, ni même auprès de tous les investisseurs institutionnels. De plus, l’évolution du rendement locatif est lente et s’observe sur le long terme. Il est également hétérogène et varie fortement en fonction de la localisation du bien. On observe cependant que là où le rendement est élevé (le loyer fort par rapport à la valeur du bien), il s’érode ensuite dans le temps, car la volonté d’investir dans ce type de biens fait monter les prix d’achat.

 

Le rendement de l’immobilier est-il intéressant par rapport à celui des autres actifs ?

Stéphane Gregoir : Nous n’avons pas d’informations en temps réel, mais cela dépend des périodes. Dans les années 2000, le rendement de l’immobilier était supérieur à celui des autres actifs, c’était l’inverse dans les années 1990. En revanche, il faut retenir que les rendements, tels qu’ils sont relayés auprès du grand public, sont surévalués. Tout d’abord, outre les problèmes que nous venons d’évoquer, on oublie trop souvent qu’il s’agit de rendements bruts. Il faut donc ajouter la ponction fiscale qui dépend du revenu de la personne, ainsi que les coûts d’entretien, qui pèsent de 0,3 à 0,4 %. Puis, il est nécessaire d’ajouter le risque de vacance. A titre d’exemple, un rendement brut moyen de l’immobilier évalué  en 1997 à plus de 6,5 % était, en réalité, proche de 5 %, une fois pris en compte les problèmes évoqués au début de notre entretien et le risque de vacance. En 2004, un chiffre brut affiché à  3,5 % tombait à 2,5%  en incluant le risque de vacance. Cette surévaluation des rendements a des effets nocifs sur le marché immobilier.

 

Comment corriger cette surévaluation ?

Stéphane Gregoir : Cela passe par un accès à une information plus fine et surtout très locale, afin que le public appréhende mieux à la fois la valeur des biens et les loyers. Cette information, c’est à l’Etat de la fournir, pour combler une défaillance du marché. D’autant plus que les implications des rendements immobiliers sont multiples : si le locatif devient plus attractif, cela facilite la mobilité, notamment professionnelle, et peut contribuer à réduire le chômage.

 

Est-il encore intéressant d’acheter un bien immobilier ?

Stéphane Gregoir : L’achat immobilier dépasse l’aspect simplement économique, surtout en France, où la propriété est valorisée. De plus, l’acte d’achat reste lié à des perceptions très personnelles de prise de risque ou de sécurité. Attention toutefois aux mesures favorisant la propriété. Une partie de la crise des subprimes est due au projet de Bill Clinton encourageant l’acquisition immobilière, sous son second mandat. A une époque où les Etats-Unis perdent des parts de marché dans le monde et sont inondés de produits importés d’Asie, la construction a semblé un bon moyen de sécuriser des emplois et des dépenses sur le sol américain. En ont suivi des dérèglements, causés par des financiers et des brokers, un endettement croissant, puis une explosion de bulle. A l’inverse, l’Allemagne n’a pas un taux de propriété très élevé et les prix de l’immobilier n’ont pas explosé. Il faut se méfier des politiques encourageant l’achat à tout prix.

 

Fiscalité et politiques publiques, des freins au marché

 

Alain Trannoy, Directeur d’étude à l’EHESS, Directeur de l’Ecole d’économie d’Aix-Marseille, Membre du Conseil d’Analyse Economique et co-auteur à ce titre des notes « Comment modérer les prix de l’immobilier ? » et « La politique du logement locatif ».

Alain Trannoy revient sur les politiques publiques menées en matière d’immobilier. Des politiques dont les bénéficiaires ne sont pas toujours ceux souhaités et dont les effets pervers se manifestent à plusieurs niveaux.

 

Comment jugez-vous les évolutions à venir sur la fiscalité de l’immobilier ?

Alain Trannoy : A partir du 1er janvier prochain, les collectivités locales auront le droit, si elles le souhaitent, d’augmenter de 1 % les droits de mutation à titre onéreux sur les transactions immobilières, droits qui sont déjà de 5,5 %. On pourrait comparer cela à une importante taxe Tobin, freinant les transactions immobilières. Nous préconisions, à l’inverse, de supprimer ces droits et de compenser en augmentant les taxes foncières sur les propriétés bâties. Nous proposions également d’asseoir la taxe foncière sur la valeur réelle du bien nette des dettes restant à rembourser et non sur sa valeur locative théorique. Il nous semblait avoir eu une oreille attentive de la part du gouvernement mais, finalement, au moment des arbitrages en juillet dernier, il a opté pour une hausse des droits de mutation.

 

Quelles sont les conséquences de cette hausse de la fiscalité ?

Alain Trannoy : Pas moins de 58 % des français sont propriétaires de leur logement. Or, quand une entreprise demande une mobilité professionnelle, ces derniers refusent bien souvent, notamment à cause des frais engendrés par les droits de mutation dans une transaction immobilière. Quand les prix de l’immobilier sont stables, voire en légère baisse, les droits de mutation constituent un frein à la mobilité et donc à l’emploi. Les primo-accédants sont également pénalisés. Une hausse de 1 % des droits de mutation signifie qu’ils doivent augmenter leur apport personnel de 1 %. Voilà qui entrave leur accession à la propriété dans l’ancien.

Les politiques publiques en matière d’immobilier ont-elles un impact sur l’évolution du prix des biens ?

Alain Trannoy : Ce ne sont que des supputations, mais nous avons remarqué que les phases de hausse de prix semblent correspondre avec la promulgation de la loi TEPA et avec le plan de relance de 2010. Cette année-là, les prix de l’immobilier chutent partout, en conséquence de la crise, sauf en France. Avec Pierre-Henri Bono, nous sommes également parvenus à la conclusion que le dispositif Sellier avait fait augmenter le prix des terrains à construire dans les zones tendues. Suite à cette mesure, le prix des terrains à bâtir a grimpé de 18 % en Ile-de-France et de 30 % en région PACA. Quant au dispositif Duflot, il devrait conduire à la construction de 25 000 logements en zone B2, c’est-à-dire dans des régions où les prix sont relativement sages, sans réel déficit de construction de logements. Les zones tendues n’en profitent pas.

Il n’y a donc aucune mesure politique qui porte ses fruits en matière d’immobilier ?

Alain Trannoy :Certaines personnes en profitent, certes, mais les politiques de soutien à la demande ont aussi des effets inflationnistes. Cela s’est beaucoup vu dans les années 1990. Les aides au logement social ont été relevées dans le parc privé et dans le parc social. Dans le parc privé, les aides au logement ont été captées en partie par les bailleurs, en raison de la rigidité de l’offre. Dans le parc social, les nouveaux logements sont auto-financés à raison de 20%. Face au désengagement de l’Etat, les bailleurs sociaux ont augmenté les loyers, pour pouvoir financer de nouvelles constructions en profitant du fait que l’Etat prend en charge les hausses de loyer en dessous du plafond de loyer. Une grande remise à plat est donc nécessaire, pour que les aides profitent totalement au public concerné.

 

Que recommandez-vous pour soulager la situation dans les régions de grandes tensions immobilières ?

Alain Trannoy :Tout d’abord, il faut une mise à disposition des terrains constructibles, pour y faire du logement, avec des décisions à un niveau intercommunal tant sur les décisions d’urbanisme (Plan local d’urbanisme PLU) que du permis de construire. Les communes ont jusqu’à maintenant trop privilégié l’installation des entreprises, au détriment de celle des ménages, en particulier en région parisienne. Il était prévu, avec la loi ALUR, de déposséder les communes du pouvoir en matière de PLU pour le confier aux intercommunalités. Mais cette disposition est actuellement détricotée par le Sénat.

Ensuite, il faut diminuer les prix de construction, beaucoup plus élevés chez nous qu’en Allemagne ou au Benelux. Pour cela, il faut simplifier les normes, encourager la concurrence, augmenter le nombre d’acteurs, diffuser l’innovation technique. Je pense notamment aux matériaux : la France privilégie le béton, au détriment de matériaux nouveaux.

L’essentiel est d’agir sur toute la chaîne de production de biens immobiliers.