Alors que l’irruption du Big Data est actée et n’est pas prête de s’estomper, il devient plus que jamais pertinent de s’interroger sur son apport pour la recherche scientifique.

Comment le Big Data est-il utilisé? Qu’apporte-il? Quelles sont les applications et recommandations possibles?

Autant de questions qui méritent d’être démêlées pour comprendre le monde d’aujourd’hui et pourquoi pas celui de demain…

À ce titre, un panel de cinq chercheurs affiliés à l’Institut Louis Bachelier (ILB) ont présenté leurs travaux de recherche au cours de la journée des chaires, qui s’est déroulée le 24 juin au Palais Brongniart de Paris.

Le choix du thème consacré au Big Data n’a pas été choisi au hasard. En plus d’être au cœur de l’actualité et d’attirer les foules, le Big Data constitue une révolution qui permet de mieux appréhender certains mécanismes économiques et financiers.

De fait, l’accès à une multitude de données offre aux chercheurs des informations et des perspectives supplémentaires qui peuvent permettre d’alimenter leurs différents travaux de recherche dans des secteurs et domaines hétérogènes. 

Pour preuve, la journée des chaires a mis en avant des secteurs tels que l’assurance, l’énergie ou encore la santé, en relation avec des disciplines comme les mathématiques, les sciences économiques et l’actuariat.

L’événement a été composé des interventions suivantes :

  • Concurrence et tarification sur les marchés de détail de l’électricité par René Aïd, chercheur au sein de l’initiative de recherche ” Laboratoire Finance des Marchés de l’Energie “.
  • Risque de Liquidité et Comportement des Investisseurs: Enjeux, Données et Modélisation par Serge Darolles, responsable scientifique de l’initiative de recherche ” Private Equity et Venture Capital “.
  • Dynamique Haute-Fréquence des marchés financiers par Emmanuel Bacry, chercheur dans la chaire “Marchés en Mutation” 
  • Tarification en assurance dans un contexte concurrentiel par Arthur Charpentier, co-titulaire de l’initiative de recherche « Valorisation et Nouveaux Usages Actuariels de l’Information ».
  • À quoi tient la solidarité de l’assurance maladie entre les hauts revenus et les plus modestes en France ? par Florence Jusot, chercheuse pour la chaire «Santé ».

En marge de cet événement, une série d’interviews a été effectuée avec les chercheurs pour qu’ils expliquent l’incidence du Big Data sur leurs travaux.

En outre, des entretiens avec des mécènes ont été conduits, afin qu’ils décrivent les enjeux et les objectifs attendus concernant la recherche scientifique. 

 

Découvrez ici  les deux vidéos de la Journée de Chaire édition 2016 : 

Version courte :

 

Conférence en intégralité : 

 

 

Le Big Data intrigue les assureurs

Arthur Charpentier, enseignant chercheur à la faculté de sciences économique de l’université de Rennes 1, est co-titulaire de la chaire «Valorisation et Nouveaux Usages Actuariels de l’Information».

Ses travaux portent notamment sur la modélisation mathématique en assurance permettant d’établir les tarifs des contrats. Dans cet entretien, il détaille plus spécifiquement l’incidence du Big Data pour le secteur des assurances.

Comment le Big Data alimente-il votre travail de recherche ?

Nous ne manipulons pas directement de Big Data, ce qui nous enlève les difficultés liées au stockage et à la manipulation de données.

Nous sommes davantage dans la réflexion de ce que peuvent-nous apporter les données pour établir des contrats d’assurance.

Par exemple, nous disposons de beaucoup plus d’informations sur le plan théorique pour valoriser un contrat d’assurance habitation, la véritable question est de savoir quelles sont celles qui nous seront « utiles » et celles qui nous servent à rien.

En quoi le big data peut-il aider les assureurs dans la construction de leurs tarifs ?

Même si nous avons accès à des masses de données beaucoup plus importantes, elles ne sont pas forcément utilisables pour établir les tarifs des assureurs.

Pourquoi ?

Le secteur de l’assurance évolue dans ce que l’on appelle un cycle de production inversé avec une tarification ex ante dans lequel le produit (le contrat) est vendu avant d’en connaître son prix réel.

À titre d’exemple, les informations de conduite recueillies à partir d’un boîtier GPS ne sont pas utilisables pour construire le tarif d’un contrat d’assurance automobile. En effet, légalement, un assureur ne peut pas modifier son tarif en cours d’année. Sa seule possibilité est d’accorder éventuellement des ristournes aux assurés les plus vertueux lors du renouvellement.

Y-a-t-il d’autres pistes à explorer pour l’utilisation du Big Data dans le secteur ?

La prévention des risques est un aspect que les assureurs pourraient mettre en place grâce aux données collectées. Cela permettrait de faire évoluer la relation client vers de l’accompagnement et devenir ainsi un outil marketing intéressant à exploiter.

Les assureurs sont donc loin d’être menacés par l’afflux du big data ?

Détrompez-vous. Sans action de prévention, le coût du sinistre n’évoluera pas ou très peu. Dans cette hypothèse, la rentabilité des assureurs ne se baserait que sur le montant des primes. Or, si des acteurs comme Google ou Facebook décident d’investir le marché en segmentant de manière très fine les profils des assurés, le montant des primes baisserait, pesant ainsi sur la rentabilité du secteur. Le système traditionnel de mutualisation des risques serait même menacé.

Le principe de mutualisation est-il réellement remis en cause ?

Le paiement à la carte sur des contrats d’assurance prend de l’ampleur. Nous sommes face à un réel débat de justice sociale, car certains profils d’assurés se retrouveraient exclus du marché avec de l’hyper segmentation. Pour l’instant, nous constatons que les assureurs tentent de collecter des données sans savoir vraiment encore comment ils vont les utiliser.

Le recueil de données pose un problème concernant le droit à la vie privée, quel est votre opinion ?

Oui effectivement, nous sommes confrontés à un problème de droit qui est une vraie problématique de fond. Beaucoup de personnes sont prêtes à donner énormément d’informations pour obtenir des tarifs plus bas, mais à l’inverse celles qui veulent plus de vie privée peuvent se retrouver pénalisées. Il y a encore pas mal d’incertitudes sur ces questions.

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L’impact du Big Data sur l’actuariat est un sujet primordial pour Covéa

Baptiste Beaume occupe la fonction de directeur de projets au sein de la direction marketing et transformation stratégiques chez Covéa.

Le groupe mutualiste est le partenaire économique de l’initiative de recherche « Valorisation et Nouveau Usages Actuariels de l’Information ».

Si ce programme de recherche est relativement récent - avec moins d’un an d’existence – il décrit dans cet entretien les enjeux de la recherche et l’importance du Big Data pour un groupe tel que Covéa qui compte plus de 11 millions de sociétaires.

Quels sont les grands enjeux de l’initiative de recherche financée par Covéa ?

Pour nous les enjeux de cette initiative de recherche sont doubles. D’abord, en tant qu’opérationnels, nous souhaitons approfondir des sujets de recherche fondamentale qui nécessitent du temps et des ressources dont nous ne disposons pas forcément en interne.

Ensuite, la recherche permet de nous ouvrir et d’apprendre de nouvelles méthodes de réflexion avec des partenaires scientifiques qui sont experts dans leur domaine.

Pouvez-vous nous donner des exemples de thèmes de recherche importants pour votre groupe ?

L’impact du Big Data sur l’actuariat est un sujet primordial pour Covéa. Plus précisément, nous aimerions comprendre, les limites entre la segmentation, l’hyper segmentation et le principe de mutualisation qui représente le cœur de l’activité d’assurance.

Concrètement, sur quels axes le Big Data peut-il vous aider ?

Même si l’exploitation du Big Data dans une optique de tarification ou de sélection en assurance est complexe, il est très important d’être impliqué dans ce domaine de recherche pour rester compétitif.

Par ailleurs, le Big Data a un très fort impact sur la relation client, le marketing et les services. Nous restons évidemment très attentifs sur ces aspects.

Évoquez-vous la personnalisation des services pour vos clients ?

Au-delà de la personnalisation, le Big Data est capital pour notre secteur d’activité. Il permet d’aller plus loin en termes de prévention, de contextualisation et d’enrichissement de la relation client, ceci à chaque étape du cycle de vie client.

Le Big Data permet d’adapter les offres d’électricité

René Aïd est à la fois chercheur pour EDF Recherche & Développement et pour l’initiative de recherche « Laboratoire Finance des Marchés de l’Énergie (Fime) ».

Dans le cadre de ses travaux, il tente notamment de répondre aux problématiques liées à la régulation de la volatilité des clients, la discrimination optimale et la périodicité des changements tarifaires.

Pour y répondre, René Aïd et ses collègues incorporent du Big Data dans des modèles mathématiques pour mieux calibrer la demande d’électricité des consommateurs ou encore prévoir les effets des changements de tarifs sur les clients. Il revient sur l’émergence et l’importance du Big Data sur ses projets scientifiques.

Comment le Big Data alimente-t-il votre travail de recherche ?

Les capacités des compteurs communicants et des objets connectés vont nous permettre d’obtenir des informations plus fiables et plus nombreuses sur le comportement des consommateurs d’électricité. Il y a ainsi un véritable enjeu pour les fournisseurs, en termes d’adaptation des offres et d’optimisation de la consommation.

Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Lorsqu’il y a des campagnes pour promouvoir les rénovations dans les bâtiments et limiter ainsi les déperditions d’énergie dans les foyers, il n’y a pas d’autre choix que de faire de la prospection auprès de la population pour estimer les besoins.

Mais, avec des données relevées et précises, il est possible d’établir des relations entre les températures externes, ainsi que les consommations d’énergie.

À partir de là, l’identification d’éventuelles anomalies est réalisable sans que des techniciens ne soient obligés de se déplacer. De quoi générer des gains de temps et d’argent !

Où en est le déploiement de ces nouvelles technologies ?

En Europe, selon des analystes de marché, le nombre de thermostats intelligents atteint 700 000 unités. Il y a par ailleurs un partenariat entre la jeune pousse Netatmo et EDF Luminus – la filiale belge détenue à 100% par EDF – pour faire bénéficier aux clients son modèle de thermostat intelligent.

Aujourd’hui, vous pouvez retrouver ces produits dans n’importe quel magasin spécialisé. D’ailleurs, les consommateurs sont très sensibles à ces technologies, car ils permettent de réaliser des économies d’énergie et donc, de réduire leurs factures. Enfin, le déploiement des compteurs Linky, débuté fin 2015,  s’effectue à un rythme soutenu, avec l’objectif d’atteindre 35 millions de compteurs d’ici 2021.

Quel est l’intérêt du déploiement de ces compteurs communicants ?

Avec les compteurs communicants comme Linky, il sera possible d’avoir une facturation plus précise et une meilleure connaissance des consommations. Ce sera un bénéfice pour le consommateur qui se verra proposer des offres plus adaptées à ses besoins.

Ces compteurs ouvrent la voie à de nombreuses sources d’économie par la connaissance des usages et des clients. Par exemple, dans le secteur tertiaire, on peut espérer ne plus avoir besoin de créer des panels coûteux pour évaluer la demande d’énergie des différents segments de ce secteur.

En connaissant davantage ses clients, un fournisseur pourra apporter de meilleurs conseils et services, sachant que cette activité sur-mesure est à plus forte valeur ajoutée que la simple vente en gros d’électricité. De même pour les petits commerçants qui pourront avoir des conseils personnalisés liés à leur propre consommation.

L’accès à ces données ne pose-t-il pas un problème d’éthique et/ou  juridique ? Et si oui, comment y remédier ?

L’accès à ces données est une problématique majeure. La protection de la vie privée des consommateurs est une donnée d’entrée des systèmes à construire.

Le consommateur doit pouvoir contrôler l’usage ou non de ses données de consommation et savoir ce qui en est fait. C’est une nécessité technologique pour le Big Data : l’extraction et l’analyse de données agrégées doivent être réalisables sans que l’on puisse accéder à des données purement individuelles. Beaucoup de chercheurs ont des projets là-dessus qui ont déjà été brevetés. C’est une des conditions de succès des programmes de gestion active de la demande du futur.

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Pour EDF, la recherche aide à comprendre les marchés de l'énergie 

Clémence Alasseur, est directrice et responsable scientifique du « Laboratoire Finance des Marchés de l’Énergie (Fime) », qui est une initiative de recherche soutenue par EDF.

En plus de cette fonction, elle est chercheuse au sein de la branche Recherche et Développement d’EDF. Cette structure sert notamment d’interface entre les chercheurs du monde académique et les opérationnels du groupe énergétique.

Elle revient sur les objectifs recherchés par EDF dans le cadre des travaux du laboratoire.

Quels sont les enjeux de la recherche traités par Fime pour un groupe comme EDF ?

Je vois trois grands enjeux spécifiques à EDF et traités dans le cadre du laboratoire Fime. Le premier implique « la prise en compte de la concurrence et les nouvelles formes de tarification » dans un contexte de fin des tarifs réglementés. Nous travaillons notamment sur les contrats à proposer aux consommateurs, basées sur des modèles de théorie des jeux, afin de permettre par exemple le pilotage dynamique de la demande et d’utiliser les nouveaux compteurs intelligents Linky.

Le deuxième enjeu regroupe « l’aide à la décision et la transition énergétique » pour répondre à des problématiques comme la gestion de la production locale renouvelable avec les centrales thermiques classiques. En effet, même si nous évoluons dans un marché de l’énergie encore largement centralisé en France, la décentralisation prend de l’ampleur aux niveaux des collectivités territoriales ou des particuliers qui se tournent vers les énergies renouvelables. Dès lors, EDF doit s’attacher à prendre les bonnes décisions pour avoir une production harmonisée en adéquation avec l’essor local des énergies alternatives.

Enfin, « l’économie des marchés des matières premières » est un sujet de recherche très important pour EDF. Cela permet au groupe de comprendre par exemple les interactions entre les marchés spot et les marchés à terme, c’est à dire l’impact de la finance sur les marchés de l’énergie.

Comment EDF utilise-t-il la recherche ?

Le laboratoire Fime fonctionne avec des chercheurs académiques et des chercheurs d’EDF, les interactions sont très nombreuses lors de séminaires ou de collaboration en binôme par exemple. Par ailleurs, EDF exploite directement des méthodes et ou des modèles développés par des académiques. EDF adresse aussi directement des questions spécifiques à son activité et qui peuvent motiver des activités de recherche.

Quels sont les bénéfices apportés par la recherche ?

Le bénéfice en termes de ressources humaines est très fort en particulier sur les volets du recrutement et de la formation. En effet, le laboratoire Fime propose de nombreuses formations pour les ingénieurs du groupe.

En outre, la recherche peut permettre d’initier de nouveaux projets suite à des problématiques qui ont émergé également lors de formations dédiées à la formalisation de questions opérationnelles. Parmi les autres bénéfices pour EDF, je peux mentionner l’éclairage de la recherche sur des activités existantes, l’accès à un vivier d’étudiants ou encore le renvoi d’une image positive à l’extérieur du groupe.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’applications concrètes qu’EDF a pu mettre en œuvre grâce à la recherche ?

En plus d’aider à comprendre les marchés, la recherche a notamment permis de créer des méthodes numériques qui sont appliquées directement par EDF pour faire de la gestion des risques sur les marchés de l’énergie. Nous avons aussi développé des méthodes qui donnent des éclairages sur les stratégies d’investissement sur les marchés à terme.

Quelles sont les prochaines attentes d’EDF en matière de recherche par le biais de Fime?

Les modèles de prix et de tarification constituent une des priorités du groupe. L’un de nos objectifs consiste à construire des approches plus simples, modernes et pertinentes avec l’évolution réglementaire et contextuelle des marchés de l’énergie. Nous devons également réfléchir aux relations contractuelles que doit entretenir EDF avec les  consommateurs et producteurs locaux (particuliers, collectivités…).

Des barrières d’accès aux soins subsistent

Florence Jusot est professeure en Sciences Économiques à Paris Dauphine et chercheuse à la chaire « Santé Dauphine ». Ses travaux portent entre autres sur les inégalités d’accès aux soins en fonction des niveaux de revenus. Elle revient sur l’apport du Big Data dans ses travaux de recherche, ainsi que les recommandations qui en découlent.

Comment le big data alimente-il vos travaux de recherche sur la santé ?

Dans le secteur de la santé, le Big Data concerne les données administratives de la sécurité sociale ou des organismes de complémentaire santé assureurs (le niveau de recours aux soins, les dépenses de santé, les remboursements, les cotisations, les prime…).

Ces données fiables complètent celles issues des différentes enquêtes qui sont plus subjectives ou renseignent d’autres dimensions, comme l’état de santé. Cela représente ainsi une source d’information précieuse, alors que ce type de données n’est pas forcément aussi accessible dans d’autres pays.

Concrètement, comment pouvez-vous les utiliser ?

Dans beaucoup de domaines. Le Big Data nous permet par exemple de mesurer l’intensité des transferts opérés par le système d’assurance maladie entre plusieurs groupes d’individus aux revenus différents.

Nous pouvons aussi  établir quelles sont les parties de notre système d’assurance maladie qui font le plus de redistribution.

Dès lors, nous pouvons déceler l’efficacité en tant qu’instrument de redistribution et l’équité de notre système de protection sociale.

Le Big Data vous permet-il de répondre à d’autres problématiques ?

Oui, l’apport du Big Data dans nos travaux nous aide par exemple à mesurer l’égalité de traitement entre les personnes ayant les mêmes besoins de santé.

En outre, nous pouvons aussi identifier la progressivité du financement de notre système d’assurance maladie et son niveau de redistributivité. Ces éléments peuvent ainsi donner des éclairages aux pouvoirs publics.

Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’éclairages ?

Le système d’assurance maladie est à l’origine d’une redistribution entre groupes de revenus en France. Cela tient essentiellement au financement de la partie publique du système – qui est progressif – avec des cotisations et des taxes qui augmentent plus que proportionnellement avec le revenu.

Par ailleurs, la consommation de soin est légèrement en faveur des plus pauvres, car ils ont davantage de problèmes de santé. Toutefois, ces derniers ont des consommations de soins insuffisantes au regard de leur besoin de soin. Si le système était vraiment équitable, les plus pauvres recevraient davantage de soins et le système serait encore plus redistributif.

Globalement, on peut dire que notre système est relativement juste en raison de l’équité de son financement, mais des barrières d’accès aux soins subsistent.

Pouvez-vous effectuer des comparaisons internationales ?

Nos prochains travaux porteront justement sur des comparaisons internationales avec d’autres pays de l’OCDE. Pour contourner les difficultés d’accès aux données administratives des pays tiers, nous serons amenés à utiliser des données d’enquête. Cela impliquera de comparer pour la France les résultats obtenus avec des données d’enquêtes et des données administratives de la sécurité sociale.

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La recherche améliore la compréhension du système de santé

Luc Pierron occupe la fonction de conseiller du président du groupe MGEN.

Le groupe mutualiste, spécialisé sur les questions de santé et de protection sociale, est le mécène de la chaire Santé. Il explique les enjeux et les attentes de MGEN concernant la recherche scientifique.

Quels sont les grands enjeux de la recherche pour un groupe comme la MGEN ?

Pour nous, les enjeux de la recherche sont triples.

Premièrement, nous avons souhaité investir dans la recherche dans le cadre du partenariat avec la chaire Santé, car nous poursuivons des objectifs de santé publique, notamment à travers nos activités de gestionnaire de sécurité sociale des fonctionnaires et d’offreur de soins.

Deuxièmement, la recherche nous permet de faire un travail d’introspection, de prendre du recul, d’examiner les moyens de progresser et de bâtir une sorte de doctrine sur laquelle nous nous appuyons. Ce travail sur nous-même est réalisable grâce aux données que nous fournissons aux chercheurs. En expertisant nos pratiques, ces derniers participent indirectement à nos réflexions stratégiques.

Troisièmement, en améliorant la compréhension du système de santé, les recherches de la chaire nous offrent des bases de discussion et des arguments objectifs dans nos relations avec les pouvoirs publics. Si l’idée derrière ce partenariat n’a jamais été de faire de la chaire un bras armé de MGEN – preuve en est le fait que nous n’avons aucun droit de regard en amont sur la nature des travaux ou les méthodologies employées – il ne faut jamais se priver de valoriser des études de qualité auprès des décideurs et des leaders d’opinions.

Comment utilisez-vous la recherche ?

En partant des problématiques étudiées par les chercheurs, nous entrons dans une phase de réflexion, afin d’examiner les possibilités de transposer à nos activités certaines de leurs conclusions.

Les chercheurs de la chaire ont eu à plusieurs reprises l’occasion de présenter leurs travaux à nos dirigeants. Enfin, notre revue « Valeurs Mutualistes », envoyée à 1,7 million d’adhérents, a consacré dans plusieurs numéros une page pour vulgariser et valoriser la production de la chaire Santé.

Pouvez-vous nous donner des exemples d’applications concrètes que vous avez pu mettre en œuvre grâce à la recherche ?

Dans une étude intitulée « Does health insurance encourage the rise in medical prices ? A test on balance billing in France », Brigitte Dormont et Mathilde Péron ont évalué l’impact de la couverture complémentaire sur les dépassements d’honoraires.

Plus précisément, elles estiment l’impact causal d’une amélioration de la couverture complémentaire sur le recours aux spécialistes pratiquant des dépassements et sur le montant des dépassements. Elles ont pour cela utilisé un échantillon de 43 111 affiliés MGEN observés entre 2010 et 2012. Les individus sont observés en 2010 alors qu’ils ont tous la même complémentaire santé, qui ne couvre pas les dépassements d’honoraires, puis en 2012 après que 3 819 d’entre eux ont changé de complémentaire pour rejoindre une meilleure couverture.

Le résultat le plus intéressant est que l’impact de la couverture complémentaire dépend étroitement de la structure de l’offre de soins. Ainsi, l’effet inflationniste d’une amélioration de la couverture complémentaire ne s’observe que dans les zones où il y a beaucoup de spécialistes autorisés à faire des dépassements et peu de spécialistes au tarif conventionnel de la sécurité sociale.

En revanche, quand les patients ont un réel choix entre spécialistes avec ou sans dépassement, un choc de couverture n’a pas d’impact significatif sur le recours aux médecins du secteur 2. Il est possible, dans ce cas, de rejeter l’hypothèse d’un impact inflationniste des couvertures complémentaires généreuses.

À l’autre extrême, dans les zones où il y a très peu de spécialistes du secteur 1, les estimations révèlent qu’ils existent de réelles difficultés d’accès aux soins causées par les dépassements d’honoraires.

Cette publication a d’ailleurs eu une forte répercussion dans la communauté scientifique internationale.

Quelles sont vos prochaines attentes ?

Nous devrions prochainement accueillir un doctorant pour travailler sur l’assurance dépendance. L’objectif est qu’il réfléchisse au modèle économique pour couvrir ce risque qui augmente de plus en plus dans notre pays.

Nos motivations émanent de notre volonté à alimenter le débat public sur la perte d’autonomie, qui est un réel enjeu de société. Nous envisageons également d’organiser un ou plusieurs séminaires de vulgarisation sur l’économie de la santé à destination de nos salariés. Le but étant de légitimer et valoriser ce partenariat auprès de notre personnel et qu’il saisisse l’importance d’un tel sujet pour l’ensemble de nos activités. Cela permettra aussi de faire comprendre à tous nos salariés l’intérêt de la recherche pour notre groupe et la poursuite de notre engagement en faveur de l’intérêt général.

 

Le Big Data nous aide à identifier les facteurs individuels d'investissement

Serge Darolles est professeur à Paris-Dauphine et responsable scientifique de l’initiative de recherche «Private Equity et Venture Capital».

Dans le cadre de ses travaux, il s’interroge notamment sur le risque de liquidité et le comportement individuel des investisseurs, qui sont des problématiques très importantes pour les gestionnaires de fonds. Explications.

Pouvez-vous nous décrire les problématiques que vous tentez de résoudre dans vos travaux de recherche ?

Pour résumer brièvement, lorsque la rentabilité des actifs liquides est faible, un gérant de fonds a tendance à investir dans des actifs moins liquides (immobilier, infrastructures…) pour générer des rendements supérieurs.

Or, un gérant de fonds pour compte de tiers se doit d’offrir de la liquidité à ses clients (quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle…). Il doit donc faire face à un problème de transformation de liquidité entre ses investissements à long terme et ses éventuels besoins en cash à court terme. Son objectif étant de pouvoir répondre aux sorties de ses clients.

Comment pouvez-vous aider les gérants de fond à gérer cette transformation de liquidité ?

La transformation de liquidité doit être prise en compte dans les équations. Nous faisons volontairement des hypothèses simplistes sur le comportement des clients que nous intégrons dans un modèle de gestion de portefeuilles. Cela nous permet dans un premier temps de bien cerner et de comprendre ce modèle. 

En quoi le Big Data vous aide-t-il dans vos travaux ?

Au départ, nous n’avons accès qu’aux  flux agrégés qui sont des sommes des comportements individuels des clients. C’est dans un second temps que le Big Data intervient. Ces masses de données individuelles nous permettent de complexifier nos hypothèses de départ pour comprendre les comportements individuels des clients et d’en déduire les risques de sortie massive.

En d’autres termes, le Big Data nous aide à identifier les facteurs individuels qui impliquent des décisions d’investissement dans le but d’anticiper d’éventuels comportements mimétiques.

Et donc de prévoir des contagions ?

Oui, les effets de foules peuvent mettre des gérants de fonds en difficulté au même titre que lorsque les clients d’une banque se ruent massivement pour retirer leur argent. De fait, si tous les clients d’un fonds veulent sortir en même temps, le gérant, investis à long terme, est dans l’obligation de vendre des actifs dans la précipitation. Cette situation peut provoquer de lourdes pertes financières.

Votre modèle peut-il prévenir d’autres risques ?

Si des clients sont plus réactifs que d’autres et sortent rapidement d’un fonds, la liquidité s’épuise pour les autres clients qui restent investis. Notre modèle indique au gérant le niveau de cash minimum qu’il doit conserver pour offrir suffisamment de liquidité à ses clients, sans pour autant qu’il soit obligé de détenir uniquement du cash dont le rendement est proche de zéro.

Quels sont les prochaines étapes de vos travaux ?

Nous avons débuté en exploitant des données issues de fonds actions et obligations, qui sont généralement investis dans des actifs liquides. Nous allons poursuivre nos travaux en utilisant des données sur des fonds de private equity. Même s’il est difficile d’obtenir ce type de données, nous allons mettre en place des partenariats avec des acteurs du secteur pour prolonger et affiner notre modèle.